L’une est sexologue et medecin. L’autre est réalisatrice. Dans son dernier ouvrage (1), Ghislaine Paris se demande quelle place est réservée au sexe dans le couple aujourd’hui. Dans La Reine des pommes (2), Valérie Donzelli décrit une trentenaire qui, après la rupture avec l’amour de sa vie, entame une quête initiatique sexuelle. Toutes les deux posent la même question : une vie sexuelle épanouie est-elle possible dans le couple ? Réponses croisées.

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Madame Figaro. À vous lire, Ghislaine Paris, la famille, quoique plébiscitée dans tous les sondages, serait aussi un formidable tue-l’amour…
Dr Ghislaine Paris. – Famille rime avec familier. Tout petits, les garçons et les filles apprennent que la sexualité est rigoureusement interdite dans la maison. Or, quand le couple se forme et compose un foyer, il recrée une bulle de proximité... parfois étouffante. Je dis qu’il lui faut veiller à ce que ce cocon familial ne porte pas préjudice au vertige de l’érotisme.

On évoque de plus en plus souvent le « baby-clash », comme si l’arrivée d’un bébé signait la déconfiture de l’érotisme. Qu’en pensez-vous ?
Valérie Donzelli. – Cela m’étonne un peu. J’ai vécu ma grossesse comme une sublimation de féminité, de sensualité ! Le père de mon fils (Jérémie Elkaïm, acteur principal de son film, NDLR) n’est pas passé au second plan ; au contraire, j’ai senti dans ma chair à quel point cet enfant était le fruit de notre sexualité. Le rendre père a renforcé mes sentiments à l’égard de mon compagnon. La naissance de mon fils et l’amour inconditionnel que j’ai éprouvé pour lui m’ont plongée dans une telle panique que j’ai eu encore plus besoin de la présence de mon homme pour me rassurer…

G. P. – Vous avez raison ! Mais il faut reconnaître que pour certains couples, l’enfant est vécu comme un substitut libidinal, et qu’alors bien des femmes décident d’investir toute leur énergie dans son éducation. Aujourd’hui, cela me semble évident : on surinvestit les enfants au détriment du couple.

V. D. C’est encore pire avec le travail, vous ne pensez pas ? Je fais partie d’une génération de trentenaires qui a subi la crise de plein fouet, et je connais beaucoup de femmes qui bossent et se veulent des gagneuses au point d’appauvrir leur vie intime. La sexualité dans le couple est une activité qui demande du temps, et ne rapporte pas un sou… C’est quasiment un investissement anticapitaliste !

G. P. Tout à fait d’accord. Bien des couples, angoissés par le chômage, se retrouvent le soir après avoir énormément travaillé... Quelle place reste-t-il au sexe ? Il faut de l’énergie pour maintenir le désir…

 

Et pourtant… on ne peut pas dire que le sexe soit réduit à la portion congrue. Il s’affiche partout, non ?
G. P. C’est bien là le paradoxe : on vit dans une société où la pornographie et la sexualité se sont banalisées, avec une injonction à jouir à tous les coins de rue, et sur Internet. Et pourtant on ne fait pas assez l’amour ! Les couples souffrent de cela d’autant que lorsqu’on vit ainsi, à deux, dans un périmètre très limité sans ce liant qu’est la sexualité, on entre dans les chamailleries, les guéguerres au quotidien.

(1) Faire l’amour pour éviter la guerre dans le couple, en collaboration avec Bernadette Costa-Prades (éd. Albin Michel). Achetez-le en un clic >>

(2) Avec Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël.

« Les femmes ont besoin de séduire, d’être séduites »

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Comment l’expliquez-vous ?
G. P. – Le sexe crée une mémoire d’émotions fortes partagées, à défaut desquelles l’incursion sur notre territoire est vécue comme une agression. Souvent, le couple évolue dans un rapport de frère et sœur, voire de mère et petit garçon. C’est la pire configuration : la femme se transforme en maman exigeante, qui dispute son compagnon, s’agace – « Tu es encore devant un match de foot ? » –, tandis que l’homme se change en enfant qui quémande un peu de sexe de temps en temps… Comment pourrait-on alors avoir envie de faire l’amour ?

 

Votre conseil est d’érotiser le quotidien… Mais de quelle manière ?
G. P. – Il faut câliner l’idée de faire l’amour pendant la journée, anticiper le moment, user des SMS, de petits signes… Et aussi affirmer son identité sexuelle. Les femmes le font trop peu !

V. D. – On méconnaît beaucoup trop l’importance du désir dans la sexualité des femmes ; or, il est essentiel pour nous. Et parfois,
osons le dire : jouir pour une femme se résume à désirer… sans forcément passer à l’acte. Les femmes ont besoin de séduire, d’être séduites, mais alors elles sont traitées d’allumeuses…

Pourtant, Valérie Donzelli, dans votre film, Adèle prend du plaisir avec Jacques, ce père de famille qui ne lui plaît pas !
V. D. – Oui, et elle n’en revient pas d’avoir plus de plaisir avec Jacques, qui ne lui plaît pas, qu’avec Mathieu, qu’elle adorait. Cela contredit le mythe du prince charmant, dont on tombe follement amoureuse, et avec qui on fait l’amour de façon romantique. Eh bien non ! Mon film montre que les femmes comme les hommes ont des pulsions et une sexualité qui les dépassent. Elles peuvent aussi jouir sans aimer.

Un tel discours était tabou il n’y a pas si longtemps encore…
V. D. – On l’entend encore peu, mais on le voit encore moins ! Regardez la pauvreté des scènes de sexe au cinéma : ce sont souvent des clichés, qui ne rendent pas compte de la réalité du plaisir féminin.

G. P. – Heureusement, vous et votre génération, Valérie, osez dire cela. Il est temps ! Dans mon cabinet, je vois des femmes gênées d’éprouver de l’excitation sexuelle devant leur compagnon, comme si c’était encore impudique. Aujourd’hui, on affirme son identité de mère, sa carrière professionnelle sans soucis. Reste à affirmer sa maturité sexuelle. Ce sera la dernière conquête des femmes… Il faut que les femmes prennent l’initiative de la sexualité, sans attendre d’être sollicitées. La passion est un grand malentendu. Qu’elle dure deux jours, trois mois, trois ans, elle nous procure de doux frissons. Mais ça n’est pas l’autre que l’on aime. C’est un fantasme, une projection ! C’est au moment où elle décline, que l’amour, le vrai, débute…

 

Interview vidéo de Ghislaine Paris (1)

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Ghislaine Paris.

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Ghislaine Paris conseille aux couples d’érotiser le quotidien. Pas facile dans nos vies bien remplies, entre sollicitations familiales et pression professionnelle. Comment garder en vie un jeu de séduction qui entretient le désir dans le couple ?

 
 
 

Pour éviter les échecs, Ghislaine Paris conseille aux amoureux de ne pas attendre 23 heures pour penser à la relation sexuelle… Alors, à quelle heure, docteur ?

 
 
 
L'amour, c'est mieux avant 23 h...
La sexologue Ghislaine Paris conseille de ne pas attendre l'heure du coucher pour penser à la relation amoureuse.

Propos recueillis par Gaëlle Rolin

 

Interview vidéo de Ghislaine Paris (2)

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Ghislaine Paris.

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Pour la sexologue, les femmes assument leur identité de mère, de businesswoman, mais pas complètement leur état de femme désirante. Comme si dans leur tête, la sexualité était d’abord une décision masculine. Aux yeux de Ghislaine Paris, affirmer son désir, c’est bien l’ultime conquête des femmes.

 
 
 

Et les hommes, attendent-ils cette révolution-là ou la redoutent-ils ?

 
 
Les hommes souhaitent-ils que les femmes assument leurs désirs ?
Selon la sexologue Ghislaine Paris, les hommes ont tout à gagner à accepter cette enième prise de pouvoir des femmes.
 
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Propos recueillis par Gaëlle Rolin