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Étude des caractéristiques psychopathologiques et psychocriminologiques d'un échantillon de 40 femmes criminelles

 

 

 

 

 

1La criminalité des femmes reste le plus souvent perçue comme un phénomène rare et singulier parce que les stéréotypes traditionnels refusent de reconnaître à la femme des comportements violents et délinquants comme éventuelle réaction. Il est pourtant établi depuis quelques années que des femmes participent à des actes délinquants de toute nature. Si plusieurs recherches ont été menées pour étudier cette criminalité, elles restent plus rares que celles menées sur la criminalité des hommes.

La criminalité des femmes : état des lieux

2La question de la criminalité des femmes est abordée dans la littérature au moyen de différentes approches théoriques. Les théories classiques biologiques, psychologiques [25] et sociologiques [41, 34] expliquent les comportements de transgression des femmes essentiellement à partir de facteurs innés de nature biologique (caractère dépendant, soumis, trompeur, manipulateur, moins intelligent, dépourvue d’identité, sous l’influence de la sexualité), physiologique (force physique, périodes de menstruation ou de ménopause plus favorables à la criminalité). Pour la plupart des auteurs, cette caractérisation naturaliserait l’explication de la criminalité féminine : tout autre élément, tel l’influence des facteurs structurels, environnementaux ou biographiques, est négligé [18]. Précisons que, de nos jours, ces théories sont quasiment abandonnées. En opposition aux théories classiques qualifiées de « préjugés sexistes », d’autres explications sociologiques « féministes » ont été proposées. Deux approches se distinguent : l’une se centre sur l’explication de la criminalité des femmes selon les rôles sociaux qu’elles occupent dans notre société [1, 39, 19], l’autre sur le processus de criminalisation et l’étude des déterminants du passage à l’acte [11, 8, 6], et ce avec la volonté de rompre avec la recherche d’une théorie spécifique de la criminalité féminine. La femme est perçue comme un acteur social dont il faut considérer la spécificité socioculturelle et l’identité qui en résulte. Une des limites de ces modèles théoriques résulte du manque de clarté dans la définition du rôle social qui renvoie à la fois à des activités sociales et à des traits de personnalité [33].

3En tenant compte des limites des théories classiques et féministes, d’autres auteurs ont proposé des études globales ou intégratives (évaluation des dimensions biologique, psychologique et sociologique) sur la criminalité des femmes [7, 23].

4Enfin, la plupart des études empiriques contemporaines tentent d’expliquer l’écart entre la marginalité des femmes et celle des hommes dans une perspective multidimensionnelle [7], à partir de facteurs psychologiques comme la dépression [5, 30, 26], le risque suicidaire [20], de facteurs sociaux comme les normes et les valeurs morales [28], de facteurs biologiques comme l’intervention des structures temporale et frontale [36], de facteurs culturels et environnementaux comme la qualité de l’environnement familial [9, 22]. D’autres études se fondent sur l’ethnie, la classe sociale [37, 40] ou la nature des actes commis par les femmes, comme les agressions sexuelles [42, 13, 27].

5Cet examen de la littérature criminologique et des travaux empiriques met en évidence que les études sur la criminalité des femmes sont pour l’essentiel anglophones. La plupart tentent de décrire comment et pourquoi une femme peut devenir délinquante. Elles expliquent ces comportements en référence à des facteurs psychologiques et sociaux spécifiques à la femme et à la féminité. En revanche, peu d’études sont consacrées à l’étude des caractéristiques psychopathologiques et psychocriminologiques de cette criminalité. Aussi, les carences et les limites relevées dans les théories et modèles explicatifs peuvent s’expliquer par le fait que les actes délinquants perpétrés par des femmes ne sont pas quantitativement suffisants pour susciter des recherches élaborées. C’est l’ensemble de ces constats qui a motivé notre intérêt pour cette question.

Objectifs de l’étude

6À partir de ces constats, la présente étude s’inscrit dans une démarche exploratoire. Elle se donne pour objectif de cerner le profil social, psychologique et criminologique des femmes auteurs d’actes criminels. Pour ce faire, elle vise à :

  • décrire les caractéristiques sociodémographiques, psychopathologiques/somatiques et psychocriminologiques de l’échantillon de femmes auteurs d’actes criminels ;
  • proposer des éléments d’explication et de compréhension de ces caractéristiques.

 

Méthodologie

Population

7Pour cette étude, nous avons rencontré 40 femmes, âgées entre 25 et 60 ans, incarcérées en centre de détention (établissement pour longue peine). Ces femmes ont donc été jugées et condamnées pour leur crime [3][3]Le mot «crime » est employé ici au sens juridique du terme : il… et reconnues pénalement responsables au sens des articles 121-1 ou 121-2 du Code pénal. Compte tenu du faible nombre de femmes criminelles et de leur accès difficile, les critères d’inclusion et d’exclusion n’étaient pas stricts. Nous avons alors recruté des sujets volontaires quel que soit leur chef d’inculpation et leur modus operandi : il pouvait s’agir d’un acte unique ou d’une récidive, perpétré en groupe ou en solitaire, faisant une ou plusieurs victimes.

Protocole

8Les 40 sujets ont été soumis au protocole de recherche suivant :

  • La Symptom Check List 90R (SCL90R) [12] pour l’évaluation de la symptomatologie psychopathologique polymorphe : c’est une échelle de symptomatologie psychopathologique générale évaluant, sur une échelle de 0 à 4, les facteurs suivants : somatisation, symptômes obsessionnels, sensitivité interpersonnelle, dépression, anxiété, hostilité, symptômes paranoïaques, symptômes psychotiques, symptômes divers.
  • Un entretien semi-structuré pour l’évaluation et l’étude des données psychocriminologiques (investigation de l’acte), psychopathologiques (investigation de la personnalité, de l’organisation et des troubles psychopathologiques), anamnestiques (investigation somatique et de l’histoire individuelle). Inspiré du Questionnaire d’investigation pour les auteurs d’agressions sexuelles (Qicpass) [2], il se présente comme un entretien d’expertise et propose un cadre structuré de questionnement impliquant une approche progressive du parcours du sujet.

 

Traitement et analyse des données

9Le choix des méthodes de traitement des données est guidé par les limites relatives aux données à traiter (données qualitatives) et au faible échantillon (n = 40). Pour répondre aux objectifs de recherche, nous avons opté pour une méthodologie mixte combinant démarche qualitative et quantitative. Deux types d’analyse ont été effectués. Dans un premier temps, les analyses cliniques des 40 sujet, à savoir les analyses anamnestiques (analyse des données sociodémographiques et biographiques), psychocriminologiques (analyse de l’avant-acte, du déroulement de l’acte, des vécus de l’acte et de ses caractéristiques), psychopathologiques (évaluation et analyse de la symptomatologie et des troubles psychopathologiques). Dans un second temps, ces analyses individuelles ont fait l’objet d’analyses statistiques descriptives (moyenne, écart-type, proportions) afin de dégager des tendances générales concernant l’échantillon, de synthétiser et de proposer une organisation des résultats généraux conformément aux objectifs d’étude.

Présentation des résultats

10Les résultats sont présentés selon le découpage suivant : sociodémographiques, psychopathologiques/somatiques et psychocriminologiques.

Résultats sociodémographiques

11Les caractéristiques démographiques et judiciaires (tableaux 1 et 2) relatives à l’échantillon de recherche composé de 40 femmes condamnées et incarcérées correspondent aux données relevées avant l’incarcération. Nous relevons que 37 sujets sont de nationalité française et 3 de nationalité étrangère (anglaise, togolaise, algérienne). L’âge moyen de l’échantillon est de 39,95 ans au moment de l’étude. L’écart type est de 9,50.

Tableau 1

Caractéristiques démographiques avant l’incarcération de 40 femmes

Tableau 1
 
Tableau 2

Caractéristiques judiciaires de 40 femmes

Tableau 2
 

12Concernant le niveau d’études, 13 femmes ont un niveau d’études primaire sans aucune qualification professionnelle, alors que 26 ont un niveau secondaire et 1 un niveau supérieur. Avant l’incarcération, 16 sont sans profession – la plupart sont mère au foyer –, et 8 n’ont jamais eu d’activité professionnelle ; 22 exercent une activité professionnelle, 1 est à la retraite et 1 encore étudiante ; 33 femmes disposent d’un logement personnel, 5 vivent au domicile parental et 2 sont sans domicile fixe ; 12 sont mariées, 13 vivent en concubinage, 9 sont divorcés ou séparées, 4 sont célibataires et 2 sont veuves 33 ont un ou plusieurs enfants.

13Ces données démographiques signalent une intégration et une autonomie sociale plus ou moins correcte avant l’incarcération (logement personnel, vie maritale ou en concubinage, enfants) pour la majorité des sujets de l’échantillon.

14L’âge moyen de l’échantillon au moment des faits est de 30,49 ans. Nous relevons que 22 femmes ont été condamnées pour meurtre en tant que complice et/ou auteur, 13 pour viol ou agressions sexuelles en tant que complice et/ou auteur, 2 pour tortures et actes de barbaries, 2 pour trafic de stupéfiant et 1 pour homicide involontaire. Notons qu’il s’agit ici du chef d’inculpation principal, qui s’accompagne généralement d’autres chefs constituant par exemple des circonstances aggravantes.

15Par ailleurs, 28 femmes sont des primodélinquantes puisqu’elles ne présentent pas d’antécédents, judiciarisés ou non judiciarisés. Toutefois, des antécédents judiciaires ayant fait l’objet d’une condamnation ont été relevés, pour 12 (condamnation pour vols pour 7, complicité de viol pour 1, dégradation de bien pour 1, conduite sous l’emprise d’un état alcoolique pour 1, escroquerie pour 1 et trafic de stupéfiant pour 1). Enfin, 8 femmes signalent avoir commis des actes non judiciarisés pendant l’adolescence ou l’âge adulte (pour 6, il s’agit de vols, pour 1 de violence et pour 1 de mauvais traitements sur mineur).

Résultats anamnestiques

16Les résultats anamnestiques sont issus du traitement et de l’analyse des données des sections « investigation familiale et des vécus d’enfance/d’adolescence » de l’entretien semi-structuré. Ils sont résumés dans le tableau 3.

Tableau 3

Résultats anamnestiques (40 femmes)

Tableau 3
 

17Ainsi, les résultats mettent en évidence que 18 femmes ont été séparés de leurs familles pendant une période de leur vie. Ces ruptures concernent un placement en foyer, en famille d’accueil ou chez un membre de la famille (grands-parents, oncle, tante). Elles représentent une période majeure dans la vie des femmes, qu’elles ont douloureusement vécue. Néanmoins, plus que la structure de la cellule familiale (appartenance à un groupe familial d’origine ou non), ce sont les dysfonctionnements intrafamiliaux, notamment en lien avec des problèmes d’alcoolisme et de violence, qui semblent traumatiques. En effet, 35 femmes décrivent des traumatismes familiaux liés aux relations conflictuelles de leurs parents (13) ou à des décès ou maladies dans la famille (22). Une problématique alcoolique dans la famille d’origine (parents) est signalée par 8 femmes et dans la famille d’origine et actuelle (conjoint ou elles-mêmes) par 17. De plus, 3 se disent victimes de violences physiques dans la famille d’origine (parents ou tuteurs) et 20 dans la famille d’origine et actuelle (conjoint). Ces résultats soutiennent l’hypothèse d’une répétition transgénérationnelle (famille d’origine/famille actuelle) des problématiques d’alcoolisme et de violence physique. Ils signalent d’une part la défaillance du cadre familial d’origine dans l’insuffisance ou l’absence d’un univers protecteur et sécurisant, d’autre part la répétition et l’engrenage de ces problématiques dans la famille actuelle.

18Enfin, 16 femmes rapportent avoir été victimes d’agressions sexuelles : 12 pendant l’enfance, 14 au moment de l’adolescence. Ces agressions, commises généralement par le père ou un membre de la famille, s’inscrivent dans la continuité des maltraitances et des violences évoquées précédemment ; elles constituent une variable clinique significative. Notons par ailleurs qu’il n’y a pas ici de rapport de cause à effet entre victime et auteur d’agression sexuelle. Sur la qualité de la vie affective, 28 femmes se disent insatisfaites de leur vie sexuelle et affective en raison des difficultés conjugales (violence, alcoolisme, pratiques sexuelles imposées et inconvenantes), de l’absence de sentiment ou d’une sexualité difficile avec absence de désir et de plaisir.

Résultats psychopathologiques et somatiques

19Les résultats psychopathologiques sont issus de l’analyse des données de la Symptom Check-List (SCL-R) et de la section « investigation de la personnalité et anamnestique » de l’entretien semi-structuré. Ils sont respectivement présentés sur la figure 1 et synthétisés dans le tableau 4.

Figure 1
Figure 1
Tableau 4

Résultats psychopathologiques (40 femmes)

Tableau 4
 

20Concernant la symptomatologie psychopathologique (figure 1), les scores de la SCL-R sont relativement faibles pour l’ensemble de l’échantillon, avec un score de gravité globale moyen inférieur à 1 (0,87), 2 étant le milieu de l’échelle. Cependant, les scores de certains symptômes sont plus élevés. En effet, pour les 40 femmes, on note des scores plus élevés pour les symptômes de vulnérabilité (1,01/2), de dépression (1,11/2) et de paranoïa (1,36/2). Précisons que la vulnérabilité renvoie ici à un sentiment d’infériorité et à une inadéquation dans les relations interpersonnelles, alors que la paranoïa, dont le score est le plus élevé, concerne la méfiance, la perte d’autonomie et l’hostilité. Le niveau élevé de ce dernier symptôme met en évidence l’impact de l’environnement carcéral sur les sujets et son effet catalyseur et amplificateur des sentiments de persécution. De même pour la dépression, nous pensons que le contexte d’enfermement favorise l’apparition des états dépressifs ou l’aggravation d’états existants. Le faible niveau de symptomatologie psychopathologique peut surprendre compte tenu du choc et des répercussions de l’enfermement carcéral. Cela s’explique soit par un déplacement des troubles vers d’autres problématiques, soit par l’effet de contenance psychique que peut avoir la prison.

21De plus, nous relevons que 15 femmes ont eu une ou plusieurs consultations psychiatriques ou psychologiques pendant l’enfant et/ou l’adolescence et 10 à l’âge adulte. Les motifs de ces consultations étaient liés à des difficultés psychologiques à la suite d’événements traumatiques, de tentatives de suicide. Sur ces 25, 6 font état de suivis psychiatriques répétés, 10 d’un traitement pharmacologique antidépresseur ou anxiolytique et 1 d’un suivi psychiatrique régulier associé à un traitement pharmacologique neuroleptique. De plus, 18 femmes mentionnent avoir fait une ou plusieurs tentatives de suicide avant l’incarcération, et 13 pendant l’incarcération. Enfin, 21 femmes présentaient des comportements addictifs avant leur incarcération : consommation d’alcool pour 10, une polyconsommation (droguet et alcool) pour 8, consommation de drogue (haschich ou héroïne) pour 3. Concernant le registre somatique avant l’incarcération, 18 femmes décrivent un ou plusieurs troubles somatiques ayant nécessité une prise en charge médicale à moyen ou à long terme, ou des interventions chirurgicales répétées.

Résultats psychocriminologiques

22Ces résultats sont obtenus à partir de l’analyse et du traitement des données de la section « investigation de l’acte » de l’entretien semi-structuré. Ils sont organisés selon les différents temps de l’acte : l’avant acte, le déroulement de l’acte, les vécus de l’acte et les caractéristiques de l’acte.

23– L’avant-acte. Pour 27 femmes, l’acte coïncide avec une période particulière de leur vie caractérisée par des difficultés personnelles (mal-être, reviviscence d’événements traumatiques, difficultés conjugales, décès) alors que pour 13 autres aucun événement particulier n’est mis en lien avec les faits. Pour 18, la mise en acte relève d’une impulsion violente, pour 13 elle est imaginée et 9 sont dans la négation ou le déni de l’acte.

24Les résultats indiquent une prise abusive de substances psychoactives avant l’acte pour 17 femmes (alcool pour 15 et drogue pour 2). Pour 12, la ou les victimes apparaissent comme menaçantes ou dangereuses, pour 7 elle symbolise une personne ou une situation de danger déjà vécue et pour 3 elle est perçue comme déshumanisée et dévalorisée. Neuf femmes rapportent un malaise psychique lié au retour d’événements traumatiques (violences physiques et/ou sexuelles), 8 décrivent des sentiments d’étrangeté ou de dépersonnalisation et 4 des sentiments de colère (liés à des difficultés conjugales ou familiales). Enfin, 11 ne décrivent aucun sentiment éprouvé et 8 sont dans la négation ou le déni de l’acte.

25– Le déroulement de l’acte. Sur les 40 femmes, 14 ont agi seules et 24 ont agi en groupe. Le groupe intervient de diverses manières dans le déroulement de l’acte : soit il se constitue avant l’acte, dans la préméditation, soit l’acte et ses caractéristiques sont la conséquence de son influence et de son effet. La victime est connue de 35 femmes et fait partie de son entourage proche (conjoint, enfants, parents, amis). Enfin, 21 femmes rapportent des sentiments d’apaisement, de dégoût, de haine ou de colère, 6 ne peuvent qualifier leur état, 5 ne décrivent aucun sentiment et 8 sont dans la négation ou le déni de l’acte.

26– Les caractéristiques de l’acte. Pour 21 femmes, la violence de l’acte est reconnue mais référée à la violence physique, alors que la violence psychologique n’est jamais évoquée. La recherche d’humiliation ou de dévalorisation de la victime est reconnue par 14, mais non associée à un sentiment de plaisir ou de satisfaction : l’humiliation est le plus souvent assimilée à la violence ou à la situation même de l’acte (injures, scénario, tortures et actes de barbaries).

27– Les vécus après l’acte. Nous relevons que 22 femmes évoquent des sentiments de honte et/ou de culpabilité, 10 n’en décrivent aucun et 8 sont dans la négation ou le déni de leur acte. Toutefois, il apparaît que, dans certains cas, la culpabilité est plaquée, référencée à une donnée judiciaire et que honte et culpabilité sont peu différenciées. S’agissant de la responsabilité de l’acte, 12 femmes revendiquent une responsabilité totale, 20 évoquent une responsabilité partielle en soulignant l’implication de facteurs extérieurs pour minimiser leur participation, alors que 8 se maintiennent dans la négation ou le déni. Enfin, 27 signalent des conséquences de l’acte pour elles-mêmes - conséquences morales (regard d’autrui), pénales (prison) et familiales (suppression du droit parental, séparation familiale -, 10 signalent des conséquences psychologiques, sociales et affectives de l’acte pour la ou les victimes.

Discussion

28Au vu des résultats de l’étude et conformément à ses objectifs de recherche, nous nous proposons d’avancer quelques éléments de discussion et d’explication en les confrontant à ceux relevés dans la littérature.

29Les données sociodémographiques indiquent une intégration et une autonomie sociale plus ou moins correcte des sujets avant l’incarcération (logement personnel, vie maritale ou en concubinage, enfants, activité professionnelle). Cependant, l’analyse anamnestique met en évidence des dysfonctionnements intrafamiliaux (famille d’origine et actuelle) liés à des problématiques d’alcoolisme et de violence, des antécédents de violences physiques ou sexuelles vécus comme une atteinte de l’intégrité corporelle et psychique. Ces événements de vie apparaissent comme douloureux et traumatiques ; ils signalent la défaillance de l’environnemental primaire. Des vécus carentiels précoces (aux niveaux affectif, éducatif, social) s’associent également à d’autres événements traumatiques douloureusement vécus et gérés, pendant les périodes d’enfance et d’adolescence tels les séparations avec l’environnement familial, les pertes et les deuils. Ces données positionnent une transmission intergénérationnelle déficiente et rendent ainsi compte d’un univers primaire peu protecteur et défaillant dans son rôle éducatif. Ces analyses rejoignent les conclusions selon lesquelles les femmes ont souvent été elles-mêmes victimes d’agressions sévères et chroniques [14], plus particulièrement au sein de leur famille [17], et ce pendant une période de leur vie ou toute leur vie durant [9, 22]. Toutefois, pour Naffin [31], la structure familiale et ses dysfonctionnements, les conflits parentaux ne sont pas fortement liés à la délinquance et constituent un facteur de risque secondaire par rapport aux pairs antisociaux, aux problèmes de tempérament et de conduite.

30Pour la majorité des femmes de l’échantillon, il semble que le contexte familial, environnemental suscite une entrée précoce dans la vie active, avec un faible niveau d’instruction ou de qualification, ainsi qu’une entrée précoce dans la vie de couple, avec des grossesses précoces. Malgré une autonomie sociale satisfaisante, les situations socio-économiques sont précaires et conduisent à la répétition des problématiques connues dans la famille d’origine comme l’alcoolisme ou la violence. Pour Gendreau, Littles et Goggin [16], l’emploi et les conditions socioéconomiques sont identifiés comme des facteurs de risque de délinquance. Selon eux, la stabilité de la (ré)insertion sociale dépend de la qualité de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’emploi.

31Ces situations semblent liées, pour la plupart des femmes de l’étude, à une tentative d’échapper à un environnement familial peu satisfaisant ou de se rattacher à des repères plus stables par le biais de la constitution de sa propre cellule familiale. Cependant, dans la majorité des cas, ces engagements précoces sont des échecs et conduisent à une instabilité :

  • conjugale : liée à une insatisfaction affective et sexuelle en raison des relations et ruptures répétées, des violences conjugales physiques et sexuelles, des conduites alcooliques, des déviances et pratiques sexuelles imposées et inconvenantes (partenaires multiples, échangisme, triolisme, pratiques sadomasochistes…), l’absence de sentiment ou de désir sexuel ;
  • intrafamiliale : caractérisée par un débordement des responsabilités parentales et une incapacité à mettre en œuvre des conduites éducatives adaptées, nécessitant le plus souvent une prise en charge socio-éducative.
Pour Laishes [22], la proportion élevée de délinquantes ayant vécu des épisodes de violence, par comparaison avec la population générale, indique combien ces événements traumatiques occupent une place centrale dans leur vie. Chesney-Lind [9] et Comack [10] établissent un lien entre les expériences de violence (physique, sexuelle, psychologique) vécues par les femmes et le risque de commettre des actes délictueux. Ces données paraissent assez caractéristiques de cette population [32] et doivent donc être considérées comme des pistes d’intervention dans les traitements et prises en charge individuelles [42].

 

32Ainsi, d’autres études se sont intéressées principalement aux problèmes de santé mentale qui découlent des expériences de violence vécues pendant l’enfance et la vie adulte, de même qu’aux nombreuses difficultés pouvant être rattachées à de telles expériences. Certaines femmes sombrent dans la torpeur psychologique [10, 21], se mettent à avoir des pensées suicidaires, deviennent inaptes à exprimer leurs émotions [20], consomment de l’alcool ou des drogues et basculent dans la dépression [30, 43].

33Notre étude signale également pour la majorité des femmes de l’échantillon un état de vulnérabilité psychologique faisant appel à des conduites alcooliques (parfois chronique et massif), des accès dépressifs ou des tentatives de suicide, le tout lié aux antécédents familiaux sociaux. L’équilibre psychologique fragilisé induit une décompensation psychopathologique avec l’expression d’une symptomatologie polymorphe (symptômes dépressifs, paranoïaques, de vulnérabilité). Certaines femmes font d’ailleurs état d’hospitalisations psychiatriques ponctuelles, de suivis psychiatriques répétés, de traitements pharmacologiques, antidépresseur ou anxiolytique, à la suite d’événements traumatiques ou de situations personnelles complexes.

34En revanche, aucun antécédent psychiatrique majeur (maladie mentale, par exemple) n’est relevé chez les sujets de l’échantillon. Pourtant, quelques auteurs comme Brownstone et Swaminath [4] considèrent les comportements déviants des femmes comme le résultat de maladies mentales ou de graves troubles pathologiques.

35Concernant les données psychocriminologiques, les résultats de l’étude indiquent que la majorité des femmes de l’échantillon sont des primodélinquantes. Selon leur chef d’inculpation principal, elles sont principalement condamnées pour meurtre ou viol/agressions sexuelles en tant que complices et/ou auteurs. Cette condamnation constitue pour la majorité d’entre elles la première infraction judiciarisée. Ce résultat rejoint le constat de Cario [7], selon lequel les femmes participent peu au phénomène criminel et récidivent peu. En effet, dès leur plus jeune âge, les filles sont éduquées en fonction des modèles de conduites anti-délinquantes. Des auteurs féministes [15] font remarquer les structures oppressives de la société patriarcale qui façonnent la socialisation des filles en référence à une identité non criminelle. Certains auteurs [29] affirment que la construction sociale du rôle maternel qui découle de l’idéologie androcentrique peut, à l’inverse, opprimer et marginaliser les femmes.

36Par ailleurs, les résultats indiquent que l’acte s’inscrit pour la plupart des femmes dans l’histoire personnelle, en ce sens où il coïncide avec une période particulière de leur vie (difficultés psychologiques, conditions de vie psychofamiliales traumatiques ou complexes, conditions de vie psychoconjugales difficiles ou insatisfaisantes…) conduisant à une mise en acte imaginée ou impulsive avec des vécus d’étrangeté et de dépersonnalisation. L’acte se déroule dans un climat psychique où la femme semble avoir des difficultés à distinguer le soi de l’autre. Toute forme d’altérité devient dans ce cas une menace réelle d’effraction et d’effondrement pour elle. La victime est alors perçue comme dangereuse et nuisible : elle symbolise un sentiment de menace et de danger interne, qui conduit à sa désubjectivation et à sa déshumanisation. La proximité victime-agresseur se révèle comme un invariant : les victimes sont connues et font partie du cercle familial, social ou professionnel des sujets. Ce sont, en général, les enfants légitimes, les nièces ou neveux, l’époux ou le conjoint, un des parents, un ami ou une connaissance. À ce propos, Cario [7] avance que ce sont les rôles sociaux occupés par les femmes qui engendrent les opportunités criminelles. Autrement dit, rôle social et nature de l’infraction sont pour lui intimement liés : c’est leur rôle de fille, de femme, d’épouse et de mère qui profile leurs activités criminelles. Retenons également que l’acte est commis le plus souvent en complicité ou en groupe. Ce résultat signale que les actes délictueux commis par les femmes de l’échantillon ne renvoient pas à un mode opératoire unique. L’implication ou non d’autres agresseurs dépend des particularités environnementales (milieu et conditions de vie, nature du réseau social ou amical) et des opportunités situationnelles des sujets.

37Enfin, l’absence de reconnaissance de la violence morale indique la difficulté de repérage de la réalité morale violente de l’acte, autrement dit sans perception de « traces » physiques, la violence n’existe pas. Cette difficulté de (ré)appropriation de l’acte s’associe avec l’inefficacité des sentiments de honte et de culpabilité ressentis par les femmes de l’échantillon. En effet, la culpabilité est référencée non à un sentiment interne mais à une donnée judiciaire. La culpabilité et la honte semblent peu différenciées, ne s’expriment pas dans un registre différent et ne représentent pas ou peu une réalité de conflit psychique.

38Ainsi, même si l’acte est perçu comme la source d’une perturbation entraînant son caractère « hors norme », il apparaît que les femmes se perçoivent davantage comme « acteurs passifs » et moins comme « auteurs actifs ». Si l’acte est reconnu pour la moitié de l’échantillon, la plupart des femmes accusent des facteurs extérieurs, minimisent leur participation et/ou légitiment leur acte par l’influence d’un tiers, l’effet de la prise d’alcool, l’incidence de conditions de vie psychofamiliales et/ou psychoconjugales difficiles. Nous retrouvons là toutes les formes de minimisation proposées par la typologie de Barbaree [3]. Par ailleurs, l’autre moitié de l’échantillon s’inscrit dans une stratégie de décriminalisation par évitement de l’acte (négation) ou refus de sa réalité (déni). L’ensemble de ces mécanismes de défense est également relevé dans les études concernant les agressions à caractère sexuel [13, 17] ; ils recouvrent des motivations et des modalités diverses. Nos résultats indiquent alors que les modes défensifs de décriminalisation ne sont pas spécifiques aux auteurs d’agressions sexuelles, mais peuvent concerner tout sujet délinquant confronté à la réalité de son acte. Ainsi, tout en tenant compte de leur complexité multidimensionnelle [35, 24], négation, déni ou minimisation de l’acte doivent constituer des axes essentiels d’évaluation et de prise en charge thérapeutique.

Conclusion

39Si cette étude apporte quelques pistes de compréhension et de réflexion, les résultats ne sont pas généralisables compte tenu du faible échantillon (n = 40). Ainsi, l’échantillon restreint, ainsi que la difficulté d’évaluer des occurrences constituent une des limites de la présente étude. Une autre limite est la constitution de l’échantillon. En effet, la difficulté d’accès à cette population nous a conduits à privilégier le chef d’inculpation afin de ne pas limiter la recherche à des critères d’inclusion et d’exclusion stricts.

40Le chef d’inculpation renvoie à des catégories juridiques larges incluant une variété de comportements. Par ailleurs, les résultats et analyses de l’étude sont à considérer comme des pistes de réflexion pour l’élaboration de recherches ultérieures. Ces dernières pourraient porter plus spécifiquement sur la santé mentale et la problématique suicidaire des femmes détenues, sur les dynamiques de victimisation ou sur l’évaluation des modes de décriminalisation. En matière de criminalités homme/femme comparées, il serait intéressant d’étudier les différences et les similarités à partir des facteurs (psychologiques, personnels, interpersonnels, sociaux, environnementaux) dans le cadre de leurs expériences de vie respectives. De telles études permettraient de reformuler les idées et les orientations des théories sur la délinquance féminine et de renseigner précisément comment tenir compte du rôle du sexe dans la conception de la recherche et de la ventilation des données.

41Rappelons également que la présente recherche et ses résultats mettent l’accent sur la criminalité des femmes adultes, d’autres études pourraient s’intéresser à la délinquance des adolescentes.

42Sur la prise en charge thérapeutique, l’étude souligne la nécessité pour ces femmes de se réapproprier leur acte à travers leur histoire. Dans ce travail, l’analyse des modes de décriminalisation et des processus psychiques associés est aussi fondamentale afin de mieux dissocier et de poser les questions de culpabilité et de responsabilité psychologiques comme on peut les concevoir d’un point de vue psychologique. Ils supposent alors que le sujet se reconnaisse progressivement comme auteur et acteur de son acte. Comme le souligne Shaw [38], pour optimiser la prise en charge des détenues, le vécu de chaque femme doit aussi être mis en rapport avec les facteurs sociaux, culturels, professionnels et économiques. Enfin, si nous avons souligné l’intérêt de l’investigation des dynamiques de victimisation chez certaines détenues de l’échantillon, il est important de souligner que d’autres ont rapporté avoir vécu des expériences positives et satisfaisantes. Aussi, ces aspects mériteraient d’être examinés en tant que ressources potentielles favorisant les prises en charges individuelles.

Notes

  • [3]
    Le mot «crime » est employé ici au sens juridique du terme : il s’agit d’un acte relevant de procédures criminelles et porté devant la Cour d’assises.
 
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/02/2014
https://doi.org/10.3917/inpsy.8306.0485

 



10/11/2019
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