Ils ont du poil, du muscle, de la viande. Et aussi des mâchoires carrées, des nez en patate, des oreilles d‘éléphant, des torses en V, des barbes en bataille, de la sueur au front, des sourcils fournis, des rides sur les joues, de grosses mains, de grands pieds, des fesses en acier trempé. Ils nous font croire que l’acide hyaluronique, c’est bon pour décaper les jantes de leur Hummer. Et que le Botox est une nouvelle marque de bière. Ils ? Ce sont les acteurs à la mode au cinéma. Pour sauver le monde, ils sont champions, tels Christian Bale (dans la saga des Batman, bientôt dans Terminator renaissance) ou Ron Perlman (dans Hellboy II : les légions d’or maudites). Pour manier du gros calibre aussi (comme Vincent Cassel dans Mesrine, Daniel Craig dans Quantum of Solace ou Mark Wahlberg dans Max Payne). Une course-poursuite ne leur fait pas peur (Jason Statham dans Course à la mort et Le Transporteur III). Pas plus qu’une bonne vieille guerre du Vietnam (Ben Stiller et Jack Black dans Tonnerre sous les tropiques).

Et quand ils draguent, c’est à l’ancienne. En costard-cravate (Jean Dujardin bientôt dans OSS 117 : Rio ne répond plus). Et en fronçant les sourcils pour paraître über-torride (Javier Bardem, ex-rugbyman dans la vie, parfait Latin lover dans Vicky Cristina Barcelona). Même Leonardo DiCaprio (aux côtés de Russell Crowe, le Gladiator en chef) porte la barbe dans le dernier Ridley Scott, c’est dire. Bref, c’est comme si tout Hollywood et le cinéma français avaient succombé à la Chabal attitude. On a dit Chabal, pas chabadabada…

« C’est bien le retour du bourrin next door, confirme Vincent Grégoire, chasseur de tendances au bureau de style Nelly Rodi. Le come-back du poil, la réouverture de la chasse à la testostérone, la revanche de la brute épaisse. » Le remake de l’homme des cavernes avec sa tignasse emmêlée et sa grosse massue ? On n’avait pas vu ça depuis, disons la préhistoire du féminisme. Évidemment, quand on a plutôt été habitués à applaudir au petit tchatcheur (Jamel Debbouze), à l‘éphèbe intello (Louis Garrel) ou même au Ken photoshopé (Brad Pitt), ça fait mâle. On a envie de courir se cacher dans les bois ou d’appeler un mammouth à la rescousse. Pourtant, parions qu‘à cette invasion de gaillards surpuissants qui ma nient le bazooka comme d’autres le rasoir jetable, il existe bien sûr des raisons.

L‘ère de la redéfinition des genres

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Vincent Cassel dans Les Promesses de l’ombre.

La première ? Depuis quelque temps, tels les grands dinosaures, les hommes survirils avaient presque complètement disparu. Leur raréfaction soudaine au même titre que les bouchers et les plombiers en a fait le prix. « Il ne restait que des intellos malingres, des ados attardés comme BHL ou Jean-Michel Jarre ou des icônes androgynes, c’est-à-dire des produits marketing éthérés et ambigus destinés à plaire au plus grand nombre, rappelle Vincent Grégoire. Normal que les femmes à la recherche d’une dose de stimulus sensoriels se remettent à fantasmer sexuellement sur du lourd, du charnel, du rugbyman. Elles ont envie que les hommes ressemblent à des hommes, et que les femmes ne soient plus ces créatures de mangas virtuelles qu’on voit dans les pubs des magazines. L‘ère du regendering, la redéfinition des genres masculin et féminin prônée par les Américains, est arrivée. » L’affaire est entendue, trop de Photoshop tue le Photoshop. Et trop d’indifférenciation sexuelle anéantit le désir.

Et puis, seconde raison nettement plus pragmatique : « Il y a aussi des données commerciales, ajoute Vincent Grégoire. Dans les pays émergents comme la Russie, la Chine, l’Inde ou l’Amérique du Sud, l’image d’un homme féminisé ne passe pas. Ils n’y croient pas. » En clair, l’homme frêle et délicat, trop sophistiqué, trop prise de tête, pas assez fort, pas assez Vin Diesel, ne fait pas vendre. D’où la réapparition sur les écrans d’un mâle dans son jus, flirtant avec l’authentique, une pléthore de superhéros réaffirmant la puissance (fantasmée) de l’Amérique (jusqu’au Metropolitan Museum of Art de New York, où se tient actuellement une expo consacrée aux superhéros de comics) et la fascination actuelle de l’Occident pour la culture latino et ses codes agressifs et hypersensuels.

La « russellcrowisation » du monde

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Russell Crowe dans Master & Commander.

Mais, plus profondément, que dit de la société la réémergence d’un homme musclé et viril, une mitraillette à la main, après tant d’années passées à ériger en modèle le nouvel homme tendre et fragile, puis son avatar, le fameux métrosexuel aux pressantes envies de foulard et de crème hydratante ? « Si c’est une virilité macho, écrasante, cela démontrerait que la société s’infantilise, qu’elle a besoin d’un papa, affirme Maryse Vaillant, psychologue et écrivain. Car l’homme est puissant et viril surtout pour sa petite fille. »

La « russellcrowisation » du monde évoquerait donc un resserrement des troupes auprès d’un daddy protecteur et rassurant, un tiers Neandertal, deux tiers G.I. Joe. « Ce qui signifierait dans notre société l’existence d’une grande fragilité face aux inquiétudes économiques ou climatiques, d’une vraie peur du lendemain, poursuit Maryse Vaillant. Et un retour aux valeurs traditionnelles, comme l’autorité paternelle, la famille, la femme au foyer ou le subjonctif à l‘école. » Car qui dit homme viril dit faible femme, et renaissance des ancestraux rapports de force au sein du couple. « Si l’on considère que l’on a besoin d’eux, on se met en position d’inférieure, continue-t-elle, on se réfugie dans une caverne avec un homme chasseur, car on a trop peur de l’extérieur menaçant. » Une attitude de retrait dommageable aux avancées décisives, comme l‘égalité des sexes et le travail des femmes…

 

Pourtant, la virilité affichée des Colin Farrell, Viggo Mortensen, Tomer Sisley, Matthew McConaughey ou Christian Bale, tous torses gonflés par la muscu à l’air, serait-elle aussi agressivement macho qu’il y paraît au premier abord ? « Je ne crois pas, assure Danièle Thompson, réalisatrice (_La Bûche_, Fauteuils d’orchestre). Car cette affirmation de la masculinité se fait selon moi au détriment du machisme. Il y a beaucoup d’humour, de second degré là-dedans. Et puis un acteur comme Bardem a prouvé que virilité pouvait rimer avec fragilité. »

En poussant plus loin, toute cette démonstration de vigueur, de muscles et de puissance ne serait-elle pas aussi moins caricaturale et réactionnaire qu’elle ne le semble ? « Absolument, maintient Vincent Grégoire. À mon sens, un rugbyman qui pose nu pour un calendrier ou porte un pull rose fait plus pour la cause masculine qu’un nouvel homme à la Souchon. Dans le même esprit, je pense que les bimbos à la Paris Hilton ou à la Britney Spears ont un côté progressiste et féministe : elles prônent le droit de se tatouer, de sortir ou de se saouler au même titre que les hommes. » La société aurait donc peut-être accouché d’un nouveau nouvel homme, viril mais pas trop, macho juste ce qu’il faut, sexy en diable. « Sans doute, répond Vincent Grégoire. En tout cas, c’est peut-être une façon, dans un monde sans repères et sans fondamentaux, de redéfinir les sexes. Et de remettre les gens dans des cases pour enfin pouvoir évoluer. » De la préhistoire à l’avenir : nos acteurs virils auraient donc fait peut-être un petit pas pour l’homme et un grand pas pour l’humanité... CQFD.

Machos mais pas trop