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Psychiatrie et violence conjugale

https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2014-8-page-663.htm

 

Psychiatrie et violence conjugale

Valable pour femmes comme pour hommes maltraites

 

Introduction

Les violences conjugales, du fait de leurs conséquences négatives, tant sur le plan de la santé physique que de la santé mentale, sont un véritable enjeu de santé publique, que les autorités françaises tentent de mieux appréhender. Néanmoins, la prévalence de ces violences reste encore trop importante et le dépistage demeure une nécessité afin de permettre une prise en charge adaptée.

Les médecins sont souvent en première ligne pour dépister ces violences intrafamiliales, derrière une ecchymose ou une symptomatologie dépressive. Il est nécessaire de poser des questions, lors des entretiens, sur les antécédents de violence, mais également de connaître les symptômes psychiatriques qui peuvent émerger dans les suites de violences chroniques, afin de ne pas laisser les victimes, seules, face à leur souffrance.

Définition/prévalence

La violence domestique a été définie par la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) comme « tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique, qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ».

Parmi les violences conjugales, on peut donc retrouver :

  • des violences physiques : être bousculé, frappé, giflé, poussé, mordu, brûlé… ;
  • des violences verbales : cris, injures, insultes, menaces… ;
  • des violences psychologiques : être humilié, insulté, ignoré, dévalorisé, intimidé, contrôlé… ;
  • des violences sexuelles : agression sexuelle, viol, harcèlement sexuel ;
  • des violences économiques : contrôle des dépenses, des moyens de paiement…

 

Les violences à l’égard des femmes sont considérées par le Conseil de l’Europe comme une « violation des droits de l’homme » : droit à la vie, à sa sécurité, à la dignité et à l’intégrité physique et mentale ».

En France, les données de prévalence des violences conjugales restent parcellaires. La dernière grande enquête a été réalisée en 2000, il s’agit de l’ENVEFF (Enquête nationale sur la violence faites aux femmes en France) [1]. Cette enquête montrait qu’une femme était victime d’un homicide conjugal tous les deux jours et avait estimé qu’environ 1 600 000 femmes étaient victimes de violences conjugales en France.

En 2012, en France, les chiffres judiciaires retrouvent 148 femmes tuées par leur partenaire ou ex-partenaire et 26 hommes et en 2013, ce chiffre est en légère baisse avec 121 femmes et 25 hommes victimes d’homicide conjugal. Cela représente environ 20 % de tous les homicides répertoriés par l’Observatoire national de la délinquance (OND).

De même, les statistiques 2012 de l’OND ont retrouvé 1 170 viols sur majeurs par conjoint ou ex-conjoint, 1 074 femmes et 96 hommes et ont recensé 61 297 faits de violences volontaires par conjoint ou ex-conjoint. Dans 83 % des cas de violences volontaires, les victimes étaient des femmes [2].

Une publication récente, de novembre 2013, de l’Observatoire nationale des violences faites aux femmes, fait état d’estimations issues des enquêtes ONDRP et Cadre de vie sécurité de 2010 et 2012. Il estime qu’en moyenne, chaque année, 1,2 % des femmes de 18 à 59 ans, soit 201 000 femmes sont victimes de violences conjugales [3].

Une nouvelle enquête (VIRAGE) devrait débuter en 2015, afin d’affiner les statistiques concernant la violence conjugale en France.

Au niveau européen, selon l’enquête menée par l’European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), 22 % des femmes interrogées et qui ont une relation avec un homme, ont subi des violences sexuelles et/ou physiques. Les résultats de l’enquête montrent également que deux femmes sur cinq (43 %) ont déjà subi une forme de violence psychologique de la part d’un partenaire dont 25 % d’humiliations, 14 % de menaces de violences physiques et 5 % de séquestration [4]. Concernant une autre forme de harcèlement, dénommée « Stalking » ou « traque furtive », l’enquête de la FRA retrouve qu’une femme sur dix a été victime de stalking par un partenaire ou ex-partenaire, dans les suites de la rupture. Ces comportements peuvent être longs, 20 % des femmes en ayant fait l’objet pendant plus de deux ans.

Les violences conjugales restent longtemps du domaine de l’intime, cachées des regards extérieurs et les dépôts de plaintes sont peu fréquents. En France, on estime qu’uniquement une femme sur six porte plainte lorsqu’elle est victime de violences conjugales [3], mais uniquement deux femmes sur dix lorsqu’elles vivent encore avec leur conjoint. Et en Europe, l’enquête FRA retrouve qu’une femme sur trois victime de violence conjugale le signale à la police. Ce faible pourcentage de déclaration des violences aux autorités judiciaires auraient plusieurs raisons, notamment, la honte et la culpabilité vis-à-vis des violences, mais également la crainte de ne pas être entendue et la crainte de représailles de l’agresseur [4].

Cela montre l’importance du repérage des violences notamment des violences conjugales, par les personnels de santé, afin de proposer une prise en charge rapide et éviter ainsi l’évolution vers des troubles psychiques et somatiques de plus en plus graves dont le coût pour la société est important.

En effet, ces violences ont une répercussion économique non négligeable, tant en coût direct (système de soin, social, judiciaire), qu’indirect (perte de production, perte de qualité de vie). Nectoux en 2010 a estimé le coût total des violences conjugales en France à près de 2,5 milliards d’euros à partir des données de 2006 [5]. Marissal, en 2006, avait quant à lui retrouvé un coût global à près d’un milliard d’euros [6]. Selon Nectoux, l’augmentation d’un euro du budget en faveur de la prévention des violences conjugales pourrait économiser jusqu’à 87 euros de dépenses sociétales dont 30 euros de dépenses directes [5].

Cycle de la violence au sein du couple

Les violences au sein du couple, s’installent, le plus souvent progressivement, en commençant par des violences psychologiques, puis verbales et enfin physiques et sexuelles, avec une augmentation en fréquence et en intensité.

Le cycle des violences s’organise typiquement en quatre phases, qui se répèteront dans le temps (figure 1).

Figure 1

Le cycle des violences en quatre phases

Figure 1
 

Ces violences répétées vont avoir un impact de plus en plus important sur le psychisme de la victime, sur sa santé physique, mais également sur son environnement social et affectif.

En effet, la violence conjugale renvoie à la notion de pouvoir et de contrôle d’un individu sur un autre, à une volonté d’emprise. Pour augmenter son pouvoir et son contrôle sur la victime, l’auteur des violences a recours à plusieurs modalités de fonctionnement :

  • la coercition et les menaces : menacer de lui faire du mal et le mettre à exécution, menacer de se suicider, menacer de la faire hospitalisée sous contrainte… ;
  • l’intimidation de la victime : l’effrayer, la menacer, être imprévisible ;
  • la violence psychologique : humiliation, culpabilisation… ;
  • l’isolement de la victime : surveiller ses fréquentations, limiter ses activités extérieures ;
  • le déni des faits, retourner la responsabilité : minimiser la violence, dire que c’est de sa faute ;
  • l’utilisation des enfants : menacer de lui enlever les enfants, lui dire qu’elle est une mauvaise mère ;
  • le privilège masculin : traiter la victime comme une domestique, définir les rôles masculins et féminins ;
  • la suppression de toute indépendance économique : lui prendre son argent, l’empêcher de travailler…

 

Ces comportements d’emprise vont être à l’origine d’une attaque narcissique, qui s’apparente, selon Lopez a une forme de vampirisme, qui va progressivement « vider » la victime de tout élan vital, de toute capacité décisionnaire et ainsi l’isoler encore plus [7].

Facteurs de risque de violences conjugales

Les études sur les violences conjugales ont permis de relever un certain nombre de facteurs de risque, du coté de l’auteur des violences, du coté de la victime, mais également des facteurs de risque situationnels [8, 9].

  • Facteurs de risque individuels d’être auteur de violences conjugales :
    • âge jeune ;
    • faible niveau socio-économique ;
    • faible niveau scolaire ;
    • chômage ;
    • antécédents de violences sexuelles et/ou physiques subies durant l’enfance ;
    • troubles de la personnalité ;
    • abus d’alcool ou de toxiques ;
    • cognitions erronées vis-à-vis de la violence ;
    • antécédents de violences agies.
  • Facteurs de risque individuels d’être victime de violences conjugales :
    • âge jeune ;
    • faible niveau socio-économique ;
    • antécédents de violences sexuelles et/ou physiques subies durant l’enfance ;
    • grossesse ;
    • dépression ;
    • abus d’alcool et de toxiques ;
    • cognitions erronées vis-à-vis de la violence ;
    • victimisations antérieures.
  • Facteurs de risque relationnels :
    • Du coté de l’agresseur :
      • écart de niveau de scolarité entre les conjoints,
      • infidélité,
      • conflits conjugaux, insatisfaction conjugale,
      • durée de la relation ;
    • Du coté de la victime :
      • écart de niveau de scolarité entre les conjoints,
      • nombre d’enfants,
      • conflits conjugaux, insatisfaction conjugale.

 

Conséquences psychologiques des violences conjugales

Les violences chroniques, évoluant sur plusieurs années comme cela est souvent le cas dans les violences conjugales, ont un fort impact psychique.

Les recherches concernant l’impact des violences sur le psychisme se sont d’abord centrées sur l’évènement traumatique unique à l’origine d’un état de stress post-traumatique (ESPT). Néanmoins, les symptômes présents dans l’ESPT sont loin de constituer l’ensemble des symptômes que peuvent présenter les victimes de violences chroniques.

En effet, les troubles présentés par les victimes de violences conjugales peuvent être considérés comme des symptômes d’ESPT combinés à des co-morbidités comme la dépression, l’abus de substance, les troubles psychosomatiques, les tentatives de suicide…

Ils peuvent également être définis par les traumatismes complexes (Disorder of Extreme stress not overwise specified[DESNOS], trouble du développement traumatique, trouble de la personnalité post-traumatique…) qui ont été décrits à l’origine par Herman en 1992 et validés par la suite par de nombreuses études. Ces concepts relativement récents tentent de refléter les effets des violences interpersonnelles chroniques, que ne recouvre pas le diagnostic d’ESPT.

Il existe donc une large palette de symptômes chez les victimes de violences conjugales, où s’associent généralement des symptômes d’ESPT avec des reviviscences de scènes de violences (cauchemars mais également reviviscences diurnes), des attaques de panique, des troubles du sommeil et des symptômes dépressifs. Il sera parfois moins facile, face à une victime de violence conjugale, de « dépister » la violence, que face à une victime d’un acte violent unique ayant entraîné un ESPT « pur ».

De plus, les individus victimes de violences conjugales peuvent avoir des réticences à verbaliser leurs difficultés psychologiques. Effectivement, les symptômes psychiatriques peuvent être utilisés par les agresseurs contre les victimes elles-mêmes, en se servant par exemple de l’hospitalisation en psychiatrie pour contrôler leur victime ou les discréditer vis-à-vis de leurs amis, leur famille ou de la justice. Les passages à l’acte violents peuvent également être perçus comme le reflet de la psychopathologie de la victime (« c’est parce qu’elle devient hystérique que je suis obligé de la calmer ») et les symptômes psychiatriques ne sont alors pas considérés comme une conséquence des violences, mais au contraire comme leur cause.

Il sera donc nécessaire, pour le praticien, d’être vigilant face aux symptômes présentés et de ne pas hésiter à poser la question de la violence qu’elle soit ancienne ou actuelle.

Violences conjugales et antécédents traumatiques

Pour la plupart des femmes, l’agression par un partenaire adulte sera leur première expérience de victimisation. Pour d’autres, la violence conjugale apparaît dans un contexte d’antécédents de violences et de maltraitance.

De nombreuses études ont recherché le lien entre des ATCD d’abus physiques et/ou sexuels dans l’enfance et la présence de violence au sein du couple. Les femmes qui ont été agressée physiquement ou sexuellement dans leur enfance ou qui ont été témoin de violence à l’encontre de leur mère, seraient plus à risque de victimisation à l’adolescence et à l’âge adulte que ce soit au sein du couple ou en dehors du couple [10]. En 2007, Kimerling a mis en évidence que les femmes qui avaient été agressées physiquement ou sexuellement durant leur enfance ont six fois plus de risque d’être victime de violences physiques ou sexuelles à l’âge adulte [11].

D’autres études retrouvent des prévalences élevées de maltraitance et d’exposition aux violences conjugales dans l’enfance, avec des taux moyen de 55 % d’antécédents d’abus physiques et de 57 % d’abus sexuels [12].

Violences conjugales chez les patients souffrant de troubles mentaux

Les patients souffrant de troubles mentaux, souvent plus vulnérables, présentent un risque plus élevé d’être victimes de violences et notamment de violences conjugales.

Par ailleurs, ce sont des personnes qui présentent également d’autres facteurs de risque de victimisation comme la précarité, être sans domicile fixe ou vivre dans un environnement violent.

Une étude sur des femmes sans domicile fixe présentant des troubles mentaux a mis en évidence qu’une majorité d’entre-elles avait été victime au moins une fois de violence de la part d’un partenaire (70 % avaient été victimes de violences physiques et 30 % de violences sexuelles) [13].

Les violences conjugales peuvent de plus être à l’origine d’une majoration des symptômes ou entraîner des décompensations chez des individus présentant des troubles mentaux majeurs.

La stigmatisation associée à la maladie mentale et le manque de connaissance des cliniciens sur les violences conjugales peuvent renforcer les capacités des agresseurs à manipuler le système de santé pour contrôler et discréditer leur partenaire. Les allégations de la victime vont sans cesse être justifiées par les troubles mentaux existants, être présentées comme un phénomène délirant, pouvant par exemple justifier la mise en place d’un traitement psychotrope voire une hospitalisation sous contrainte. Les auteurs peuvent pousser ou forcer leur victime à prendre des médicaments, et présenteront ensuite ces faits comme une tentative de suicide démontrant une nouvelle fois que leur équilibre psychique est instable.

Ce type de manipulation n’augmente pas seulement le contrôle de l’agresseur sur son conjoint mais peut avoir des objectifs secondaires néfastes comme réduire les chances du partenaire d’obtenir la garde des enfants ; ce qui est souvent retrouvé comme l’une des motivations des conjoints à ce type de comportement.

Les symptômes psychiatriques aigus peuvent inversement augmenter le risque de victimisation. Les femmes peuvent être particulièrement à risque d’agression lorsqu’elles présentent des troubles cognitifs ou émotionnels associés à des troubles psychotiques. De plus, les symptômes d’un traumatisme sévère, comme la dissociation ou les reviviscences peuvent mimer des troubles psychotiques mettant en lumière le risque d’erreur diagnostique et de traitement.

Dépression et violence conjugale

La dépression est le premier trouble psychiatrique retrouvé chez les victimes de violence physique ou sexuelle.

Certains auteurs ont démontré que les femmes aux antécédents d’abus sexuels dans l’enfance et d’agression sexuelle à l’âge adulte ont des taux de prévalence de dépression supérieurs aux femmes d’un groupe témoin [14]. De plus, les femmes qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance ont deux fois plus de risque de présenter une dépression que celles qui ont été victimes de violences sexuelles à l’âge adulte [15]. Les violences conjugales constituent aussi un facteur de risque de dépression, avec un taux de prévalence allant 35 à 63 % selon les études [16].

En outre, différentes études ont montré que la fréquence et la sévérité des violences, les violences psychologiques, les violences sexuelles associées et le manque d’étayage social étaient associés avec des symptômes sévères de dépression et étaient de meilleurs facteurs prédictifs de dépression que les facteurs démographiques, culturels ou les antécédents de troubles psychiatriques [17].

Face à un patient souffrant de dépression, il est donc important d’évaluer l’existence d’un contexte de violences actuelles ou passées.

Co-morbidité dépression et ESPT

Environ 50 % des personnes qui développent un ESPT présentent également un épisode dépressif majeur ; et des antécédents de dépression sont associés selon Hapke avec le risque de développement d’un ESPT dans les suites d’un évènement traumatique [18].

Concernant les femmes victimes de violences conjugales, Pico-Alfonso a retrouvé de faibles prévalences d’ESPT mais des prévalences élevées de dépression, particulièrement chez celles ayant subies des violences sexuelles [17]. Dans d’autres études, comme celle de Nixon, l’ESPT et la dépression étaient fréquemment co-morbides chez des femmes victimes de violences conjugales et les femmes présentant cette co-morbidité avaient des symptômes plus sévères que celles ne présentant qu’un seul des deux troubles [19].

État de stress post-traumatique et violences conjugales

La prévalence d’ESPT chez les femmes victimes de violences conjugales est estimée entre 33 et 84 % selon les études, avec une prévalence moyenne de 61 % [20].

Chez ces victimes, l’ESPT est corrélé avec la sévérité des agressions, les violences répétées, les antécédents de maltraitance dans l’enfance [21], les agressions sexuelles [22], le degré de violences psychologiques et de harcèlement [23, 24].

Par ailleurs, l’association de différents types de violences (physique, psychologique, sexuelle…) augmente le risque de développer un ESPT [17]. Les violences sexuelles et psychologiques semblent contribuer indépendamment au développement d’un ESPT. Un certain nombre d’études ont mis en évidence que les violences psychologiques étaient un facteur prédictif de dépression, de faible estime de soi et d’ESPT plus important que les violences physiques [23, 24].

L’ESPT est associé avec des fortes prévalences de co-morbidités psychiatriques. Environ 80 % des individus présentant un ESPT vont développer au moins un autre trouble psychiatrique, le plus souvent une dépression, un trouble d’anxiété généralisé ou un trouble panique, mais également des abus/dépendance à l’alcool ou autre substance [25].

Les femmes victimes de violences au sein du couple présentent naturellement une augmentation du risque de dépendance/abus à l’alcool et à d’autres substances psycho-actives [26, 27].

L’ESPT complexe ou DESNOS

La fréquence élevée des co-morbidités associées à l’ESPT ont conduit à la construction d’une nouvelle entité, une forme plus complexe d’ESPT qui se développe chez les personnes qui ont été victimes de violences sur une longue période.

Les caractéristiques du DESNOS impliquent une victimisation interpersonnelle, des multiples évènements traumatiques ou des évènements sur une durée prolongée.

Des troubles dans six domaines de fonctionnement sont requis pour poser le diagnostic de DESNOS :

  • altération de la régulation des émotions avec impulsivité marquée, auto-agressivité, idées suicidaires, prise de risque ;
  • perturbations de l’attention ou de la conscience pouvant entraîner des épisodes dissociatifs ;
  • altération de la perception de soi, avec sentiment permanent de honte, ou de culpabilité, sentiment de vide ;
  • relations interpersonnelles perturbées avec incapacité à faire confiance, revictimisation ;
  • symptômes de somatisation ;
  • altérations cognitives avec perte d’espoir.

 

Il s’agit d’une destruction identitaire et narcissique de l’individu responsable d’un tableau complexe regroupant des symptômes proches du trouble de la personnalité de type borderline et des symptômes de dépression, de troubles anxieux, qui permet de prendre en charge l’individu dans sa globalité et d’éviter de multiplier les diagnostics [28].

La prise en charge psychologique des victimes de violences conjugales

Compte tenu des conséquences négatives des violences intrafamiliales et notamment conjugales, quelles soient psychologiques, physiques, ou économique, il semble essentiel de pouvoir les dépister le plus précocement possible et ainsi de pouvoir orienter les victimes vers une prise en charge pluridisciplinaire.

Les médecins, qu’ils soient généralistes ou psychiatres, jouent un rôle majeur dans le dépistage de ces violences. Il est nécessaire, au cours d’une consultation, de pouvoir évaluer les antécédents de violences subies et notamment les violences au sein du couple. Introduire le sujet de la violence peut être difficile, particulièrement lorsqu’aucun élément ne permet de penser que le patient puisse être victime. Une façon de procéder peut être, par exemple :

 

« Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé, mais comme beaucoup de femmes ont été victimes d’agression et de violences au cours de leur vie, c’est quelque chose que je demande toujours :
– Avez-vous déjà été agressée physiquement ou psychologiquement par votre conjoint ?
– Durant l’année passée, avez-vous été frappée, poussée ou secouée par quelqu’un ?
– Pendant votre grossesse, avez-vous été frappée par quelqu’un ?
– Durant l’année passée, est-ce quelqu’un vous a forcé à avoir des relations sexuelles ?
– Avez-vous peur de votre conjoint ? »

 

Les femmes victimes rapportent très souvent que la qualité de la relation clinique est un facteur important permettant de répondre aux questions concernant les violences. Pour une personne vivant quotidiennement dans la peur et l’intimidation, être traité avec respect et se sentir libre de faire des choix, sans avoir peur du jugement ou des conséquences, peut être thérapeutique en lui-même et a souvent un rôle central dans le processus de guérison.

La relation clinique peut offrir une opportunité aux victimes d’expérimenter que « l’autre » peut être digne de confiance, sûr et ainsi redonner du sens aux relations avec l’extérieur. Rétablir la confiance dans les relations fait partie du long travail thérapeutique.

Pour le thérapeute, il sera nécessaire d’être capable de tolérer les sentiments de peur et les doutes qui peuvent survenir lorsqu’une personne est en danger et choisit de ne pas mettre fin à une relation pourtant violente, ce qui peut être particulièrement difficile à accepter.

Il semble également important de déstigmatiser les symptômes psychiatriques, de fournir des informations sur les conséquences psychologiques des violences, de proposer des choix et d’offrir de l’espoir. Les femmes ayant été victimes de violences conjugales rapportent souvent que l’une des choses qui les ont le plus aidé en parlant avec un tiers est d’entendre qu’elles n’étaient pas « folles ».

Comprendre les dynamiques des violences conjugales et reconnaître que les comportements violents sont de la responsabilité de l’auteur et non de la victime est une partie importante du travail thérapeutique.

Par ailleurs, le comportement « passif » de certaines victimes doit être considéré comme une stratégie destinée à réduire un danger immédiat en acceptant les demandes coercitives d’un partenaire violent. La décision de rester avec un partenaire violent est parfois vue par les médecins comme un comportement passif dépendant alors que le fait de quitter un conjoint peut entraîner un risque plus important pour la victime. En effet, la majorité des homicides conjugaux ont lieu lorsque la victime prend la décision de mettre un terme à la relation.

Différentes modalités d’interventions thérapeutiques ayant montré leur efficacité dans la diminution des symptômes psychotraumatiques pourront être proposées aux personnes victimes de violences.

Les interventions centrées sur le trauma vont permettre d’aider les individus à reconnaître leurs propres capacités, à développer de nouvelles compétences et à améliorer leur capacité à gérer des sentiments auparavant accablants. Des thérapeutes ont proposé un traitement en trois phases pour les personnes souffrant d’un traumatisme complexe. Une première phase vise à sortir l’individu d’un milieu et d’habitudes de vie traumatiques en offrant un cadre thérapeutique rassurant. La deuxième phase est celle où le thérapeute cherche à obtenir une construction narrative et émotionnelle des évènements traumatiques via la mémoire épisodique et narrative. La troisième phase « est celle où un pont est fait entre le vécu traumatique et sa vie actuelle » [28].

Les groupes de parole constituent également une modalité intéressante de prise en charge pour les victimes de violences conjugales, permettant de mettre en évidence les mécanismes de l’emprise et de se confronter à l’expérience d’autres victimes, en se sentant, ainsi, moins isolées.

Législation pénale et violences conjugales

Plusieurs lois ont été promulguées ces dernières années, en France, afin d’améliorer la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences conjugales.

La loi du 04 avril 2006 sur la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a élargit le champ d’application de la circonstance aggravante de conjoint aux anciens partenaires. En effet, les violences effectuées sur un conjoint, mais également un ex-conjoint, un concubin ou ex-concubin, pacsé ou ex-pacsé sont des circonstances aggravantes qui majorent le quantum de peine. Même lorsque l’incapacité totale de travail (ITT) est estimée à 0 jour ou inférieure à 8 jours, l’infraction est considérée comme délictuelle. (tableau 1).

Tableau 1

Les principales infractions et peines encourues

Tableau 1
 

La loi du 9 juillet 2010 est relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Celle-ci a prévu par exemple, la création d’une ordonnance de protection, permettant au juge aux affaires familiales (JAF) de déterminer les modalités d’exercice de l’autorité parentale, de prescrire l’éloignement de l’auteur des violences, d’attribuer le logement commun à la victime (article 515-11 du Code civil). Elle a également prévu l’expérimentation d’un dispositif de téléprotection, plus connu actuellement sous le terme de téléphone grand danger, qui permet aux femmes victimes de violences conjugales, en très grand danger d’être en communication rapidement avec un poste de télésurveillance qui les localise et prévient les services de police les plus proches en cas de danger.

Cette loi a également créé plusieurs infractions pénales, notamment en sanctionnant les violences psychologiques. En effet, la loi du 9 juillet 2010 a introduit l’article 222-14-3 au sein du Code pénal, qui constitue une transcription d’une jurisprudence de la Cour de cassation, en matière de violences qui prévoyait : « le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique » (CCrim, 2 septembre 2005).

L’article du Code pénal prévoit donc désormais que « les violences (…) sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ».

Depuis il existe un délit spécifique de harcèlement psychologique au sein du couple (article 222-33-2-1 du CP), qui est constitué par « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».

Très récemment, le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a été adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 26 juin 2014. Concernant les dispositifs propres aux femmes victimes de violence conjugale, il améliore le dispositif de l’ordonnance de protection et étend le téléphone grand danger à tout le territoire. Il modifie également la rédaction de l’article 222-33-2-14 du CP relatif à l’infraction de violences psychologiques au sein du couple, en remplaçant le terme « agissements » par « comportements ou propos ».

Le sénat a également adopté en première lecture le 5 mai 2014, le projet de ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul du 11 mai 2011).

Conclusion

La prise de conscience de l’impact des violences conjugales sur la société a entraîné des modifications législatives et la création récente d’une mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). Cette mission interministérielle a pour but d’améliorer la prise en charge des victimes et a développé une campagne de formation, à l’intention des professionnels de santé, afin d’améliorer le dépistage des violences.

Il a effectivement été largement démontré que les complications psychiatriques secondaires aux violences chroniques sont majeures avec une augmentation de la mortalité (suicide, affections secondaires aux addictions…) et de la morbidité chez les victimes (dépression, ESPT…). Cette mortalité et cette morbidité sont également augmentées du fait des conséquences somatiques des violences physiques et sexuelles.

Beaucoup de pathologies psychiatriques trouvent leurs racines dans la violence et il semble donc essentiel, pour les praticiens, d’oser poser des questions en lien avec la violence, ce qui pourra constituer une forme de « libération » pour la victime et qui l’aidera très probablement à entrer dans un processus thérapeutique.

Pour finir, il semble important de pouvoir proposer des prises en charge psychologiques adaptées aux victimes de violence et notamment de violence conjugale, du fait de la spécificité de la symptomatologie psychotraumatique et de la nécessité d’un travail pluridisciplinaire en réseau. En effet, une évaluation globale de la situation de la victime est indispensable et repose sur les compétences de multiples partenaires (sociaux, judiciaires, médicaux, association d’aides aux victimes…) dont la connaissance permettra une prise en charge de meilleure qualité.

Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

 
Mis en ligne sur Cairn.info le 13/11/2014
https://doi.org/10.1684/ipe.2014.1251
 
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17/05/2019
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