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Quelles solutions pour les enfants témoins ?

 

 

 

 

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QUELLES SOLUTIONS POUR CES ENFANTS ?

“Rester n’est pas protéger”

Laurent Payard, psychologue au sein de l’unité médico-judiciaire (UMJ) du CHU de Reims

“Rester n’est pas protéger, avertit le psychologue de l’unité médico-judiciaire (UMJ) pédiatrique du CHU de Reims, Laurent Payard. En termes de retentissements psychologiques, les conséquences de la séparation des parents sur l’enfant seront bien moins importantes que s’il reste exposé à des violences conjugales.”

S’appuyant sur les résultats d’une étude américaine, il affirme qu’un enfant sur deux entend ou assiste aux violences entre ses parents ; les moins de 6 ans étant les plus exposés. Il révèle également qu’au moins 40% des enfants exposés le sont directement aux violences physiques exercées par l’agresseur.

Contrer la stratégie de l’agresseur

“Nous avons longtemps considéré qu’il ne s’agissait que d’une affaire entre Monsieur et Madame. Mais c’était oublier les conséquences dramatiques chez l’enfant. Dans la littérature, poursuit-il, nous savons que les enfants témoins de violences conjugales ont autant de troubles psychologiques que les enfants qui ont été victimes de violences. Cela veut dire que c’est très préoccupant et qu’il faut s’en occuper de la même façon que des enfants maltraités pour ce qui est des conséquences psychologiques.”

Ces dernières ne sont pas identiques dans leur expression et leur intensité. Elles dépendent de la durée des violences, de l’environnement familial, de l’âge et de la personnalité de l’enfant“On retrouve trois grands types de troubles dans son développement, précise Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, en Seine-Saint-Denis et membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED): l’état de stress post-traumatique; les troubles de l’atteinte à soi-même (isolement, retard du développement, troubles de la concentration, rupture scolaire, conduite toxicomaniaque, tentatives de suicide…); et les troubles de l’atteinte à autrui (agressivité contre l’autre, violences, conception stéréotypée entre hommes et femmes, etc.).”

Laurent Payard met en exergue le problème de la répétition de la violence.“Il existe des mécanismes d’identification à l’agresseur, explique-t-il. Pour se protéger psychologiquement face à la personne qui l’agresse, certains enfants vont aller épouser son système de pensée. D’autres vont imiter ce qu’ils voient. Si on leur apprend qu’une femme est une moins que rien et qu’un conflit se règle par la violence, ils n’auront pas les capacités à se dire: Bah non, ce n’est pas comme ça qu’on fait.”

Conséquences à l’âge adulte: des comportements délictuels et agressifs, des difficultés à s’engager et à avoir une vie affective stable. 50% des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l’enfance. 40% à 60% des hommes violents envers leur conjointe ont eux-mêmes été exposés aux violences conjugales. D’où la nécessité de prise en charge des enfants traumatisés.

Coauteur du livre intitulé “Violences conjugales: le droit d’être protégée”(éditions Dunod), Édouard Durand souligne également l’importance de prendre en charge les mamans. “Les protéger, c’est protéger les enfants”, assure-t-il. Il préconise de laisser les enfants avec leur mère et de soutenir cette dernière dans sa parentalité pour qu’elle puisse restaurer les repères de la vie quotidienne et montrer qu’elle est légitime à prendre des décisions, tout en prenant en compte les traumatismes subis. Le meilleur moyen, selon lui, “de contrer la stratégie de l’agresseur”.

Une unité médico-judiciaire pédiatrique au CHU de Reims

QU'EST-CE QUE C'EST ?

La prise en charge des enfants maltraités, de façon structurée, date d’une trentaine d’années à l’hôpital américain. Elle s’est d’abord appuyée sur un trio composé par une assistante sociale, un médecin et une psychologue qui, au vu des situations auxquelles ils étaient confrontés, ont petit à petit organisé le service.

“L’activité a grossi, peut-être parce qu’il y a une certaine augmentation du nombre de violences, explique le Dr Digeon. Et parce que nous les repérons beaucoup mieux, à l’exemple des situations infracliniques. En 1987, le nombre de diagnostics de sévices sexuels faits à l’hôpital américain était nul. A l’heure actuelle, nous répondons à 600 réquisitions d’enfance maltraitée par an, dont deux tiers de sévices sexuels. Et le nombre d’évaluations a plus que doublé.”

Le service s’est donc structuré, et l’équipe renforcée. Y travaillent désormais trois médecins, deux psychologues et un groupe d’assistantes sociales. “Enfin, depuis une à deux années, nous avons séparé nos deux types d’activités avec une cellule d’accueil spécialisée de l’enfance maltraitée (Casem) et une vraie unité médico-judiciaire (UMJ) pédiatrique. Ce, parce que nous collaborons avec des partenaires différents : le conseil départemental pour la première et la justice pour la seconde.”

QUELLES RÉQUISITIONS ?

“Nous procédons à l’examen médical des victimes sur réquisitions judiciaires. Deux à trois réquisitions par jour ouvrable, précise le Dr Digeon. Nous prenons en charge les enfants âgés de 0 à 18 ans, et même avant leur naissance. Un contexte de violences conjugales peut avoir des retentissements sur les grossesses, tels que des retards de croissance in-utérins. Et certaines peuvent être issues d’un viol.”

Outre les cas de violences extrêmes générant l’admission des enfants aux urgences, ils se présentent à leur rendez-vous avec la famille ou les personnes qui les accompagnent au secrétariat de l’UMJ pédiatrique. “Nous les recevons en général ensemble, psychologue et médecin, pour éviter qu’ils n’aient à répéter leur histoire. Nous faisons un état des lieux de l’historique de l’enfant, médical, psychologique et social. Nous voyons ce qui l’a amené, quels symptômes fonctionnels il présente. Puis, après un examen médical réalisé par le médecin et un entretien avec le psychologue, nous faisons quelques examens paracliniques complémentaires si nous le jugeons nécessaire.”

S’ensuit alors une réunion de synthèse. “Nous rédigeons le certificat et l’envoyons à l’autorité requérante.”

50%

des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l’enfance

143 000

enfants vivent dans des ménages où des femmes adultes sont victimes de violences conjugales

35

enfants mineurs ont été tués en 2014 dans le cadre de violences dans le couple

60%

des hommes violents envers leur conjointe ont eux-mêmes été exposés aux violences conjugales

ENFANTS EXPOSÉS AUX VIOLENCES CONJUGALES :
LES EFFETS SUR LEUR DÉVELOPPEMENT

2-4 ANS

SANTÉ PHYSIQUE ET MENTALE
  • Plaintes somatiques
  • Eunurésie/encoprésie
  • Cauchemars
  • Anxiété
  • Syndrome de stress post-traumatique
DÉVELOPPEMENT GLOBAL
  • Déficiences des habiletés verbales et intellectuelles
FONCTIONNEMENT ET HABILETÉS SOCIALES
  • Dépendance exagérée à la mère
  • Agressivité
  • Cruauté envers les animaux
  • Destruction de biens

5-12 ANS

SANTÉ PHYSIQUE ET MENTALE
  • Plaintes somatiques
  • Anxiété
  • Dépression
  • Syndrome de stress post-traumatique
DÉVELOPPEMENT GLOBAL
  • Faible estime de soi
  • Confusion et ambivalence
  • Crainte d’être victime de violence ou abandonné
  • Sentiment d’être responsable de la violence et de devoir intervenir
  • Mauvais résultats scolaires
  • Difficultés de concentration
  • Convictions stéréotypées sur les sexes
FONCTIONNEMENT ET HABILETÉS SOCIALES
  • Craintes d’amener des amis à la maison
  • Agressivité
  • Repli sur soi
  • Destruction de biens
  • Comportement de séduction, manipulation ou d’opposition
  • Manque de respect à l’égard des femmes

12-18 ANS

SANTÉ PHYSIQUE ET MENTALE
  • Plaintes somatiques
  • Dépression
  • Suicide
  • Syndrome de stress post-traumatique
DÉVELOPPEMENT GLOBAL
  • Faible estime de soi
  • Baisse des résultats scolaires
  • École buissonnière
  • Décrochage scolaire
  • Sentiment d’être responsable de la violence
  • Convictions stéréotypées sur les sexes
FONCTIONNEMENT ET HABILETÉS SOCIALES
  • Brutalité
  • Violences à l’égard des personnes fréquentées
  • Abus drogues, alcool
  • Fugues
  • Prostitution
  • Grossesses précoces
  • Délinquance
  • Manque de respect à l’égard des femmes

Tableau de M. Suderman et P.G. Jaffe. L’enfant exposé à la violence conjugale et familiale: guide à l’attention des éducateurs et des intervenants en santé et en services sociaux,
Centre national d’information sur la violence dans la famille, Santé Canada, 1999

“Un problème de santé publique majeur”

Béatrice Digeon, cheffe de l’UMJ pédiatrique du CHU de Reims

Comment appréhendez-vous la problématique des violences conjugales?

Au vu de leur impact sur les enfants, leur développement et la société, comme un problème de santé publique majeur.

Disposez-vous de tous les moyens nécessaires pour prendre en charge les mineurs exposés?

Nous rencontrons des obstacles importants, notamment au niveau pénal. Nous devrions pouvoir faire l’évaluation de tous les enfants d’une même fratrie quand l’un d’eux est signalé, mais nous n’avons pas les moyens de forcer une famille à nous amener tous ses enfants ; seule la justice pourrait le faire. Nous n’avons pas non plus les moyens de convoquer les enfants d’une femme victime qui se présente à l’unité médico-judiciaire adultes. La passerelle n’existe pas, parce qu’elle n’est pas légale: il n’existe pas de textes de loi qui permettent de reconnaître un enfant témoin de violences conjugales comme une victime. La justice n’a donc pas les moyens d’obliger. Pour nous réquisitionner, il faut un acte délictuel.

D’autres manquements ?

En matière de formation des professionnels, oui. Nous manquons aussi de capacités d’accompagnement en France. Nous n’avons pas de maisons familiales comme en Belgique, où sont accueillies les familles qui dysfonctionnent. Des professionnels y travaillent avec elles au jour le jour, s’investissant à la fois sur les plans éducatif, psychologique et social.

QUE PEUT FAIRE LA JUSTICE ?

Confronté à de nombreuses affaires de violences conjugales, le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette, réfléchit avec son parquet à la manière la plus idoine de prendre en charge les enfants témoins.

LE STATUT DE VICTIME
Sur le plan pénal, les enfants témoins de violences conjugales ne sont pas considérés comme des victimes“C’est sans doute un sujet que nous n’avons pas assez développé collectivement, admet le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette. Il y a parfois, malheureusement, des prises de conscience progressives, y compris dans le domaine judiciaire. Cela pose également des questions sur le plan juridique. Même si la jurisprudence a déjà pu le reconnaître, il peut être complexe d’intégrer le fait qu’un auteur poursuivi pour violences puisse avoir à répondre des préjudices causés non seulement à la femme battue, mais aussi à ceux, et donc aux enfants, qui ont pu en être directement témoins.”
DES MARGES DE PROGRESSION POSSIBLES

“Nous faisons déjà un certain nombre de choses, rappelle le magistrat, notamment dans le domaine de l’assistance éducative. C’est-à-dire que nous travaillons, dans un certain nombre de cas, avec le conseil départemental de la Marne pour apprécier si le fait d’avoir été témoin de violences conjugales peut justifier la mise en place d’une mesure d’assistance éducative (soit une mesure de protection spécifique pour le mineur et un accompagnement sur la durée). Je pense néanmoins que nous pouvons aller plus loin, et dans deux domaines.”

Le premier consiste à reconnaître le mineur comme une victime quand des violences conjugales sont commises en sa présence“Aujourd’hui, quand les enfants ne sont pas directement touchés par les violences, c’est-à-dire touchés physiquement, nous avons plutôt tendance à les considérer non pas comme des victimes mais comme des témoins, et sans doute sans évaluer suffisamment l’impact traumatique des comportements violents par un tiers. Nous devons travailler sur cette évaluation avec les services médicaux, et notamment l’unité médico-judiciaire pédiatrique du CHU de Reims, pour pouvoir apprécier les réponses judiciaire et pénale qui peuvent être données, afin de trouver le cadre judiciaire le plus approprié pour les reconnaître comme des victimes.”Le second axe consiste à prendre davantage en considération ce contexte de violences pour apprécier le besoin de mesures d’assistance éducative. “Je ne dis pas qu’il faille le systématiser, mais il faudrait que nous ayons une grille de lecture qui nous permette d’être plus réactifs et présents. C’est un domaine sur lequel nous sommes en train de travailler.”

LES DROITS DU MINEUR
Le but du parquet de Reims est de pouvoir faire reconnaître l’enfant comme une victime, que ce soit comme une victime indirecte des violences conjugales qu’il a vues ou comme une victime directe de violences sur mineur, même s’il n’a pas été directement touché par le parent agresseur. “Dans les deux cas de figure, assure Matthieu Bourrette,les droits du mineur seront pris en compte, y compris par le biais de ce que l’on appelle un administrateur ad hoc que la loi me permet de faire désigner. Ce qui permet alors au mineur d’avoir un avocat spécialement désigné pour lui, distinct du parent victime, car il est des situations où le parent victime est très ambivalent dans ce qu’il a subi. Il ne veut pas déposer plainte, ou la retire, ou ne vient pas à l’audience.”
CONSÉQUENCES

“C’est symboliquement important de faire reconnaître son statut de victime à l’enfant, même s’il est petit. Cela rend légitime la prise en charge des mineurs victimes au titre de la protection de l’enfance si cela apparaît nécessaire. Et cela fait prendre conscience à l’auteur qu’il a fait du mal à l’adulte, mais aussi aux enfants.”

Trois conséquences directes:

  • Éviter un nouveau passage à l’acte de l’auteur
  • Permettre à l’enfant victime d’intégrer le fait qu’il l’a été pour qu’il ne commette pas de violences lorsqu’il sera adulte
  • Permettre à la victime de demander une réparation financière

Un précédent est survenu le 6 février à Reims: un homme a grièvement blessé son ex-femme avec un couteau devant les enfants qu’elle gardait ; ils ont cru que leur nounou avait été égorgée sous leurs yeux. Il a été mis en examen pour tentative d’homicide volontaire sur conjoint ET violences volontaires avec arme sur mineur de moins de 15 ans.

RETROUVEZ TOUS NOS REPORTAGES SUR REPORTAGES.LUNION.FR
Reportage, textes et interviews

SOPHIE BRACQUEMART

Journaliste

Dans la presse quotidienne régionale depuis 1994 (faits divers, enquêtes, justice, zones de conflit, agriculture)
Mise en forme, sons et enrichissements

ANAÏS LECOQ

Journaliste web

Dans la PQR et le web depuis 2015, blogueuse, féministe et geek
Photos

AURÉLIEN LAUDY

Photographe

QUELLES SOLUTIONS POUR CES ENFANTS ?

“Rester n’est pas protéger”

Laurent Payard, psychologue au sein de l’unité médico-judiciaire (UMJ) du CHU de Reims

“Rester n’est pas protéger, avertit le psychologue de l’unité médico-judiciaire (UMJ) pédiatrique du CHU de Reims, Laurent Payard. En termes de retentissements psychologiques, les conséquences de la séparation des parents sur l’enfant seront bien moins importantes que s’il reste exposé à des violences conjugales.”

S’appuyant sur les résultats d’une étude américaine, il affirme qu’un enfant sur deux entend ou assiste aux violences entre ses parents ; les moins de 6 ans étant les plus exposés. Il révèle également qu’au moins 40% des enfants exposés le sont directement aux violences physiques exercées par l’agresseur.

Contrer la stratégie de l’agresseur

“Nous avons longtemps considéré qu’il ne s’agissait que d’une affaire entre Monsieur et Madame. Mais c’était oublier les conséquences dramatiques chez l’enfant. Dans la littérature, poursuit-il, nous savons que les enfants témoins de violences conjugales ont autant de troubles psychologiques que les enfants qui ont été victimes de violences. Cela veut dire que c’est très préoccupant et qu’il faut s’en occuper de la même façon que des enfants maltraités pour ce qui est des conséquences psychologiques.”

Ces dernières ne sont pas identiques dans leur expression et leur intensité. Elles dépendent de la durée des violences, de l’environnement familial, de l’âge et de la personnalité de l’enfant“On retrouve trois grands types de troubles dans son développement, précise Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, en Seine-Saint-Denis et membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED): l’état de stress post-traumatique; les troubles de l’atteinte à soi-même (isolement, retard du développement, troubles de la concentration, rupture scolaire, conduite toxicomaniaque, tentatives de suicide…); et les troubles de l’atteinte à autrui (agressivité contre l’autre, violences, conception stéréotypée entre hommes et femmes, etc.).”

Laurent Payard met en exergue le problème de la répétition de la violence.“Il existe des mécanismes d’identification à l’agresseur, explique-t-il. Pour se protéger psychologiquement face à la personne qui l’agresse, certains enfants vont aller épouser son système de pensée. D’autres vont imiter ce qu’ils voient. Si on leur apprend qu’une femme est une moins que rien et qu’un conflit se règle par la violence, ils n’auront pas les capacités à se dire: Bah non, ce n’est pas comme ça qu’on fait.”

Conséquences à l’âge adulte: des comportements délictuels et agressifs, des difficultés à s’engager et à avoir une vie affective stable. 50% des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l’enfance. 40% à 60% des hommes violents envers leur conjointe ont eux-mêmes été exposés aux violences conjugales. D’où la nécessité de prise en charge des enfants traumatisés.

Coauteur du livre intitulé “Violences conjugales: le droit d’être protégée”(éditions Dunod), Édouard Durand souligne également l’importance de prendre en charge les mamans. “Les protéger, c’est protéger les enfants”, assure-t-il. Il préconise de laisser les enfants avec leur mère et de soutenir cette dernière dans sa parentalité pour qu’elle puisse restaurer les repères de la vie quotidienne et montrer qu’elle est légitime à prendre des décisions, tout en prenant en compte les traumatismes subis. Le meilleur moyen, selon lui, “de contrer la stratégie de l’agresseur”.

Une unité médico-judiciaire pédiatrique au CHU de Reims

QU'EST-CE QUE C'EST ?

La prise en charge des enfants maltraités, de façon structurée, date d’une trentaine d’années à l’hôpital américain. Elle s’est d’abord appuyée sur un trio composé par une assistante sociale, un médecin et une psychologue qui, au vu des situations auxquelles ils étaient confrontés, ont petit à petit organisé le service.

“L’activité a grossi, peut-être parce qu’il y a une certaine augmentation du nombre de violences, explique le Dr Digeon. Et parce que nous les repérons beaucoup mieux, à l’exemple des situations infracliniques. En 1987, le nombre de diagnostics de sévices sexuels faits à l’hôpital américain était nul. A l’heure actuelle, nous répondons à 600 réquisitions d’enfance maltraitée par an, dont deux tiers de sévices sexuels. Et le nombre d’évaluations a plus que doublé.”

Le service s’est donc structuré, et l’équipe renforcée. Y travaillent désormais trois médecins, deux psychologues et un groupe d’assistantes sociales. “Enfin, depuis une à deux années, nous avons séparé nos deux types d’activités avec une cellule d’accueil spécialisée de l’enfance maltraitée (Casem) et une vraie unité médico-judiciaire (UMJ) pédiatrique. Ce, parce que nous collaborons avec des partenaires différents : le conseil départemental pour la première et la justice pour la seconde.”

QUELLES RÉQUISITIONS ?

“Nous procédons à l’examen médical des victimes sur réquisitions judiciaires. Deux à trois réquisitions par jour ouvrable, précise le Dr Digeon. Nous prenons en charge les enfants âgés de 0 à 18 ans, et même avant leur naissance. Un contexte de violences conjugales peut avoir des retentissements sur les grossesses, tels que des retards de croissance in-utérins. Et certaines peuvent être issues d’un viol.”

Outre les cas de violences extrêmes générant l’admission des enfants aux urgences, ils se présentent à leur rendez-vous avec la famille ou les personnes qui les accompagnent au secrétariat de l’UMJ pédiatrique. “Nous les recevons en général ensemble, psychologue et médecin, pour éviter qu’ils n’aient à répéter leur histoire. Nous faisons un état des lieux de l’historique de l’enfant, médical, psychologique et social. Nous voyons ce qui l’a amené, quels symptômes fonctionnels il présente. Puis, après un examen médical réalisé par le médecin et un entretien avec le psychologue, nous faisons quelques examens paracliniques complémentaires si nous le jugeons nécessaire.”

S’ensuit alors une réunion de synthèse. “Nous rédigeons le certificat et l’envoyons à l’autorité requérante.”

50%

des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l’enfance

143 000

enfants vivent dans des ménages où des femmes adultes sont victimes de violences conjugales

35

enfants mineurs ont été tués en 2014 dans le cadre de violences dans le couple

60%

des hommes violents envers leur conjointe ont eux-mêmes été exposés aux violences conjugales

ENFANTS EXPOSÉS AUX VIOLENCES CONJUGALES :
LES EFFETS SUR LEUR DÉVELOPPEMENT

2-4 ANS

SANTÉ PHYSIQUE ET MENTALE
  • Plaintes somatiques
  • Eunurésie/encoprésie
  • Cauchemars
  • Anxiété
  • Syndrome de stress post-traumatique
DÉVELOPPEMENT GLOBAL
  • Déficiences des habiletés verbales et intellectuelles
FONCTIONNEMENT ET HABILETÉS SOCIALES
  • Dépendance exagérée à la mère
  • Agressivité
  • Cruauté envers les animaux
  • Destruction de biens

5-12 ANS

SANTÉ PHYSIQUE ET MENTALE
  • Plaintes somatiques
  • Anxiété
  • Dépression
  • Syndrome de stress post-traumatique
DÉVELOPPEMENT GLOBAL
  • Faible estime de soi
  • Confusion et ambivalence
  • Crainte d’être victime de violence ou abandonné
  • Sentiment d’être responsable de la violence et de devoir intervenir
  • Mauvais résultats scolaires
  • Difficultés de concentration
  • Convictions stéréotypées sur les sexes
FONCTIONNEMENT ET HABILETÉS SOCIALES
  • Craintes d’amener des amis à la maison
  • Agressivité
  • Repli sur soi
  • Destruction de biens
  • Comportement de séduction, manipulation ou d’opposition
  • Manque de respect à l’égard des femmes

12-18 ANS

SANTÉ PHYSIQUE ET MENTALE
  • Plaintes somatiques
  • Dépression
  • Suicide
  • Syndrome de stress post-traumatique
DÉVELOPPEMENT GLOBAL
  • Faible estime de soi
  • Baisse des résultats scolaires
  • École buissonnière
  • Décrochage scolaire
  • Sentiment d’être responsable de la violence
  • Convictions stéréotypées sur les sexes
FONCTIONNEMENT ET HABILETÉS SOCIALES
  • Brutalité
  • Violences à l’égard des personnes fréquentées
  • Abus drogues, alcool
  • Fugues
  • Prostitution
  • Grossesses précoces
  • Délinquance
  • Manque de respect à l’égard des femmes

Tableau de M. Suderman et P.G. Jaffe. L’enfant exposé à la violence conjugale et familiale: guide à l’attention des éducateurs et des intervenants en santé et en services sociaux,
Centre national d’information sur la violence dans la famille, Santé Canada, 1999

“Un problème de santé publique majeur”

Béatrice Digeon, cheffe de l’UMJ pédiatrique du CHU de Reims

Comment appréhendez-vous la problématique des violences conjugales?

Au vu de leur impact sur les enfants, leur développement et la société, comme un problème de santé publique majeur.

Disposez-vous de tous les moyens nécessaires pour prendre en charge les mineurs exposés?

Nous rencontrons des obstacles importants, notamment au niveau pénal. Nous devrions pouvoir faire l’évaluation de tous les enfants d’une même fratrie quand l’un d’eux est signalé, mais nous n’avons pas les moyens de forcer une famille à nous amener tous ses enfants ; seule la justice pourrait le faire. Nous n’avons pas non plus les moyens de convoquer les enfants d’une femme victime qui se présente à l’unité médico-judiciaire adultes. La passerelle n’existe pas, parce qu’elle n’est pas légale: il n’existe pas de textes de loi qui permettent de reconnaître un enfant témoin de violences conjugales comme une victime. La justice n’a donc pas les moyens d’obliger. Pour nous réquisitionner, il faut un acte délictuel.

D’autres manquements ?

En matière de formation des professionnels, oui. Nous manquons aussi de capacités d’accompagnement en France. Nous n’avons pas de maisons familiales comme en Belgique, où sont accueillies les familles qui dysfonctionnent. Des professionnels y travaillent avec elles au jour le jour, s’investissant à la fois sur les plans éducatif, psychologique et social.

QUE PEUT FAIRE LA JUSTICE ?

Confronté à de nombreuses affaires de violences conjugales, le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette, réfléchit avec son parquet à la manière la plus idoine de prendre en charge les enfants témoins.

LE STATUT DE VICTIME
Sur le plan pénal, les enfants témoins de violences conjugales ne sont pas considérés comme des victimes“C’est sans doute un sujet que nous n’avons pas assez développé collectivement, admet le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette. Il y a parfois, malheureusement, des prises de conscience progressives, y compris dans le domaine judiciaire. Cela pose également des questions sur le plan juridique. Même si la jurisprudence a déjà pu le reconnaître, il peut être complexe d’intégrer le fait qu’un auteur poursuivi pour violences puisse avoir à répondre des préjudices causés non seulement à la femme battue, mais aussi à ceux, et donc aux enfants, qui ont pu en être directement témoins.”
DES MARGES DE PROGRESSION POSSIBLES

“Nous faisons déjà un certain nombre de choses, rappelle le magistrat, notamment dans le domaine de l’assistance éducative. C’est-à-dire que nous travaillons, dans un certain nombre de cas, avec le conseil départemental de la Marne pour apprécier si le fait d’avoir été témoin de violences conjugales peut justifier la mise en place d’une mesure d’assistance éducative (soit une mesure de protection spécifique pour le mineur et un accompagnement sur la durée). Je pense néanmoins que nous pouvons aller plus loin, et dans deux domaines.”

Le premier consiste à reconnaître le mineur comme une victime quand des violences conjugales sont commises en sa présence“Aujourd’hui, quand les enfants ne sont pas directement touchés par les violences, c’est-à-dire touchés physiquement, nous avons plutôt tendance à les considérer non pas comme des victimes mais comme des témoins, et sans doute sans évaluer suffisamment l’impact traumatique des comportements violents par un tiers. Nous devons travailler sur cette évaluation avec les services médicaux, et notamment l’unité médico-judiciaire pédiatrique du CHU de Reims, pour pouvoir apprécier les réponses judiciaire et pénale qui peuvent être données, afin de trouver le cadre judiciaire le plus approprié pour les reconnaître comme des victimes.”Le second axe consiste à prendre davantage en considération ce contexte de violences pour apprécier le besoin de mesures d’assistance éducative. “Je ne dis pas qu’il faille le systématiser, mais il faudrait que nous ayons une grille de lecture qui nous permette d’être plus réactifs et présents. C’est un domaine sur lequel nous sommes en train de travailler.”

LES DROITS DU MINEUR
Le but du parquet de Reims est de pouvoir faire reconnaître l’enfant comme une victime, que ce soit comme une victime indirecte des violences conjugales qu’il a vues ou comme une victime directe de violences sur mineur, même s’il n’a pas été directement touché par le parent agresseur. “Dans les deux cas de figure, assure Matthieu Bourrette,les droits du mineur seront pris en compte, y compris par le biais de ce que l’on appelle un administrateur ad hoc que la loi me permet de faire désigner. Ce qui permet alors au mineur d’avoir un avocat spécialement désigné pour lui, distinct du parent victime, car il est des situations où le parent victime est très ambivalent dans ce qu’il a subi. Il ne veut pas déposer plainte, ou la retire, ou ne vient pas à l’audience.”
CONSÉQUENCES

“C’est symboliquement important de faire reconnaître son statut de victime à l’enfant, même s’il est petit. Cela rend légitime la prise en charge des mineurs victimes au titre de la protection de l’enfance si cela apparaît nécessaire. Et cela fait prendre conscience à l’auteur qu’il a fait du mal à l’adulte, mais aussi aux enfants.”

Trois conséquences directes:

  • Éviter un nouveau passage à l’acte de l’auteur
  • Permettre à l’enfant victime d’intégrer le fait qu’il l’a été pour qu’il ne commette pas de violences lorsqu’il sera adulte
  • Permettre à la victime de demander une réparation financière

Un précédent est survenu le 6 février à Reims: un homme a grièvement blessé son ex-femme avec un couteau devant les enfants qu’elle gardait ; ils ont cru que leur nounou avait été égorgée sous leurs yeux. Il a été mis en examen pour tentative d’homicide volontaire sur conjoint ET violences volontaires avec arme sur mineur de moins de 15 ans.

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ANAÏS LECOQ

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Dans la PQR et le web depuis 2015, blogueuse, féministe et geek
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AURÉLIEN LAUDY

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19/11/2019
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