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Société

Dans le premier refuge pour hommes battus du Texas

Prises entre l'injonction à la virilité et l'image du « sexe fort », de nombreuses victimes masculines de violences conjugales n'osent toujours pas sortir du bois.

 
Par Annamarya Scaccia; traduit parSandra Proutry-Skrzypek
29 Juin 2017, 6:30am

PHOTO PUBLIÉE AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE THE FAMILY PLACE

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Quand l'association The Family Place a ouvert ses portes à Dallas il y a près de 40 ans, elle n'était a priori pas destinée aux hommes victimes de violence conjugale. Pourtant, au fil des décennies, de plus en plus d'hommes ont commencé à recourir à ses services. Entre 2015 et 2016, le nombre de victimes masculines aidées par The Family Place est passé de 10 à 32. Cette année, l'association s'attend à accueillir une cinquantaine d'hommes.

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Ces derniers temps, The Family Place logeait les victimes et leurs enfants dans des hôtels de Dallas, où ils bénéficiaient de nourriture et de conseils. Mais selon Paige Fink, directrice de The Family Place, cette configuration s'est avérée trop coûteuse pour la petite association. C'est pourquoi en 2016, elle a annoncé l'ouverture d'un refuge réservé aux hommes. Après plus d'un an d'ennuis financiers et de formalités administratives, The Family Place a enfin pu ouvrir les portes du refuge au début du mois de mai, et ce, en toute discrétion (il n'a pour l'instant pas reçu d'attention médiatique).

« Nous [avons ouvert le refuge] car, selon nous, aucun homme ne devrait craindre d'être blessé par la femme qu'il aime », précise Paige Fink.

The Family Place ne gère pas de refuges mixtes ; la plupart des associations proposent des refuges uniquement réservés aux femmes afin de minimiser le risque de nouveau traumatisme chez les victimes. Paige Fink a cependant remarqué que de plus en plus d'hommes se tournent vers The Family Place afin de retrouver la sécurité et la stabilité à l'issue d'une relation abusive. « Nous avons constaté un besoin accru », ajoute-t-elle.

Mais The Family Place n'est pas le seul service à proposer un soutien aux hommes et à leurs enfants : Family Violence Prevention Inc., un centre de prévention des crises situé à Batesville, dans l'Arkansas, a construit en février dernier ce qui pourrait être le premier établissement pour les victimes masculines aux États-Unis – The Taylor House Domestic Violence Shelter for Men. Bien que le refuge de 21 lits de The Family Place ait ouvert il y a six semaines à peine, il fonctionne déjà à pleine capacité ; les locataires sont principalement des pères de famille avec de jeunes enfants.

 
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Ce n'est pas surprenant lorsqu'on se penche sur les statistiques. Si les femmes – en particulier les femmes transgenres et les femmes de couleur – sont affectées de manière disproportionnée par la violence conjugale, les hommes sont de plus en plus nombreux à partager leurs expériences d'agression. Aux États-Unis, on estime qu'un homme sur quatrea été violé, maltraité physiquement et/ou harcelé, contre une femme sur trois.

La sensibilisation à la violence conjugale menée au cours des dernières années a encouragé les hommes à raconter leur histoire. « Plus notre société accordera de l'importance à la violence conjugale, plus les hommes qui en sont victimes seront disposés à témoigner », explique Ruth Glenn, directrice exécutive de la National Coalition Against Domestic Violence.

« Aucun individu ne mérite d'être blessé par la personne qu'il aime. »

Mais à cause de la honte et de la stigmatisation sociale, beaucoup n'osent pas signaler les abus dont ils ont été victimes. Les hommes sont souvent jugés coupables de la violence qui leur a été infligée, et ils sont bombardés de questions accusatoires. Les détails de leur récit sont rigoureusement examinés et ils se heurtent souvent à l'incrédulité de la police, de la famille, des amis et des inconnus.

En outre, les hommes sont souvent rejetés par les services d'aide aux victimes ; selon un sondage du Journal of Family Violence réalisé auprès de 302 hommes victimes de violences, près de 67 pour cent d'entre eux déclarent avoir été éconduits par les hotlines et les associations au moment où ils en avaient le plus besoin. « La série d'obstacles imposée par notre société rend très difficile pour eux [de demander de l'aide] », ajoute Ruth Glenn.

 
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Plusieurs décennies de recherches démontrent que la violence conjugale repose avant tout sur la soif de pouvoir et de contrôle, et ce, quelle que soit la victime. Les spécialistes estiment que les normes sociales patriarcales et la notion de masculinité dictent l'idée fausse selon laquelle les hommes, parce qu'ils font partie du soi-disant « sexe fort », ne peuvent être abusés ou violés – en particulier si l'agresseur présumé est une femme. Dès leur plus jeune âge, les hommes sont conditionnés à ne pas se considérer comme des victimes et à ne pas exprimer leurs sentiments. « La société impose aux hommes d'être durs et insensibles », ajoute Fink.

Pour les homosexuels victimes de violence conjugale, la stigmatisation n'en est que plus forte, en raison de la discrimination et de l'homophobie. Selon un rapport du National Coalition of Anti-Violence Programs paru en 2016, 44 pour cent des victimes LGBTQ ayant tenté de trouver un refuge en ont été privées ; près des trois quarts étaient des hommes gays et des femmes trans.

De nombreux organismes de prévention de la violence conjugale prêtent assistance aux hommes, mais selon les spécialistes de la question, la plupart sont déjà à court d'argent et de ressources, ce qui rend impossible la gestion d'un refuge réservé aux hommes. Malgré la situation actuelle, Paige Fink espère que, avec le temps et une plus grande sensibilisation, les services proposés aux victimes masculines de violence conjugale se feront plus nombreux. Pour l'instant, The Family Place – ainsi que le Family Violence Prevention en Arkansas – se contente d'ouvrir la voie.

 
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« Ces victimes ne devraient pas être exposées au jugement. Lorsque nous les pointons du doigt, nous les mettons dans une position dans laquelle elles ne devraient pas se trouver, déclare Paige Fink. Aucun individu ne mérite d'être blessé par la personne qu'il aime. »

 
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Broadly DK

Comment les adolescentes deviennent kamikazes

Alors que le Nigeria pleure encore ses jeunes femmes disparues, le groupe terroriste Boko Haram enrôle de plus en plus d'écolières.

 
Par Mari Shibata; traduit parSandra Proutry-Skrzypek
28 Avril 2016, 7:00am

PHOTO PUBLIÉE AVEC L'AIMABLE AUTORISATION D'UNICEF.

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

La toute première femme à commettre un attentat suicide était une adolescente de 16 ans. En 1985, elle a fait sauter un véhicule piégé pendant la guerre civile du Liban, pays alors occupé par l'Armée de défense d'Israël. Bien que des femmes kamikazes soient apparues dans divers conflits, un nouveau rapport publié il y a deux semaines a révélé que le nombre d'enfants – surtout des filles – utilisés comme bombes humaines par Boko Haram sur le sol nigérian avait été multiplié par onze.

 
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Depuis 2009, le groupe militant islamiste fait régner la terreur dans les pays les plus densément peuplés d'Afrique. Il multiplie enlèvements, bombardements et décapitations dans le but de créer un État islamique dans la région nord-est. Au cours des trois dernières années, l'insurrection djihadiste a revendiqué la mort de 20 000 personnes et le déplacement de 2,3 millions de personnes.

En avril 2014, l'enlèvement de 276 lycéennes à Chibok, dans l'État de Borno, a démontré l'étendue du danger que représente le groupe. Tandis que la campagne #BringBackOurGirls envahissait les réseaux sociaux, Boko Haram a prêté allégeance à l'État islamique en mars dernier. En novembre, le groupe était considéré comme l'organisation terroriste la plus meurtrière au monde.

Selon un rapport de l'UNICEF, au cours de ces deux dernières années, un kamikaze sur cinq était un enfant. Plus de trois quarts des attaques sont menées par des jeunes filles, notamment dans les pays voisins comme le Cameroun, le Tchad et le Niger, où le groupe islamiste tente de gagner plus de pouvoir.

« Boko Haram utilise l'image d'une fillette inoffensive pour approcher la communauté », a déclaré Laurent Duvillier, porte-parole de l'UNICEF pour l'Afrique de l'Ouest et centrale. « Qui se méfierait d'une petite fille de huit ans ? Si elle toquait à votre porte pour vous demander de l'eau, vous ne vous douteriez pas le moins du monde qu'elle porte une ceinture d'explosifs autour de la taille. Ces enfants ne font que suivre les instructions qu'on leur donne. Les explosifs sont déclenchés par les combattants depuis un téléphone portable. »

LES JEUNES FILLES MANQUENT PLUSIEURS ANNÉES DE SCOLARITÉ LORSQU'ELLES SONT ENLEVÉES PAR LES COMBATTANTS DE BOKO HARAM. PHOTO PUBLIÉE AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DE L'UNICEF

« Contrairement à d'autres pays, où les kamikazes sont vus comme des martyrs et où les parents gardent des photos des membres de leur famille décédés, ces filles sont des victimes », explique Duvillier. « Les parents ne savent pas que leurs enfants sont utilisés. Ces filles ne choisissent ni le lieu, ni la date, ni la cible de leurs attaques. »

Au-delà des statistiques, un ensemble de conditions rend les adolescentes vulnérables face à Boko Haram. « Ces filles n'ont nulle part où aller car Boko Haram tue des familles entières et dévaste des villages. Elles sont obligées de suivre le groupe extrémiste et finissent par le rejoindre », a expliqué Hafsat Mohammed, ancienne journaliste devenue militante. Elle est venue en aide à beaucoup de jeunes filles qui avaient été kidnappées et retenues en captivité.

 
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« Une des filles de Chibok, qui a réussi à s'enfuir du camion, m'a raconté que les soldats leur avaient fait des attouchements. Si certaines filles leur ont dit d'arrêter, d'autres se sont imaginé que ces hommes pourraient leur offrir de l'amour et de la protection. C'est aussi pour cette raison qu'elles sont parties avec eux. Elles ne savaient pas dans quoi elles mettaient les pieds. »

Même si une vidéo diffusée plus tôt ce mois-ci montrait 15 des 219 filles kidnappées, Mohammed sait d'expérience qu'elles n'ont pas besoin d'être enfermées pour subir un lavage de cerveau. Sa cousine est tombée amoureuse d'un combattant lorsqu'elle avait 15 ans. « Elle avait de très bonnes notes à l'école », a-t-elle confié à Broadly. « Mais tout a basculé le jour où elle a rencontré ce garçon de Boko Haram. »

« Son père – mon oncle – m'a raconté qu'un jour, elle est rentrée à la maison et a annoncé à toute la famille qu'elle comptait l'épouser. Elle a dit à son petit ami que son père ne voulait pas qu'elle se marie avec lui car il faisait partie de Boko Haram. Elle lui a demandé de le tuer. »

« Le petit ami en question a tué plusieurs membres de sa famille », a poursuivi Mohammed. « Il a dit à mon oncle qu'il le tuerait aussi s'il ne donnait pas son accord pour le mariage. » Afin d'épargner les quelques survivants de sa famille, il a laissé partir sa fille. « Elle ne se souciait pas vraiment de ce que faisait Boko Haram ; elle allait rejoindre le groupe dans tous les cas, ne serait-ce que pour pouvoir être avec lui. Tout ce qui l'importait, c'était son amour pour lui. Nous ne pouvions rien faire pour l'en empêcher. »

HAFSAT MOHAMMED A ASSISTÉ ET GUIDÉ D'ANCIENNES CAPTIVES DE BOKO HARAM. PHOTO PUBLIÉE AVEC SON AIMABLE AUTORISATION

Elle estime que de plus amples recherches sont nécessaires pour comprendre pourquoi tant de jeunes filles se font endoctriner par Boko Haram. « Je ne peux pas déterminer la cause avec certitude, elles sont si nombreuses à accepter de rejoindre le groupe. Ces hommes sont capables de manipuler n'importe qui. »

Pour Mohammed, le détournement de l'Islam est le principal moyen utilisé pour endoctriner ces filles, bien trop jeunes pour comprendre les diverses interprétations de la religion. « Les gens sont peut-être capables de lire le Coran et le hadith, mais ils sont incapables d'en comprendre le sens. Une personne pas assez instruite va seulement se dire qu'elle agit au nom de Allah, puisque les groupes terroristes ne se fondent que sur certains passages et non sur des chapitres entiers. L'Islam ne se résume pas à cela, mais ceux qui manquent d'éducation ne s'en rendent pas nécessairement compte. »

 
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Même si le retour de certaines filles est plutôt une bonne nouvelle, il reste un long chemin à faire pour les sauver complètement des griffes du groupe. Les enfants issus des mariages avec les combattants ou des viols commis par ceux-ci sont appelés les « bébés Boko Haram » et, tout comme leurs mères, ils sont rejetés par leur communauté quand ils ont le plus besoin de leur soutien.

« Comme le veut l'adage, "les chiens ne font pas des chats" », a déclaré Duvillier. « Un père que j'ai rencontré m'a dit que sa fille ne faisait plus partie de sa famille et qu'il ne voulait plus jamais la voir, parce qu'elle s'était mariée avec un combattant. Je lui ai dit que sa réaction était une victoire pour Boko Haram, et que ça rendrait sa fille encore plus vulnérable. »

Mohammad, qui a apporté son aide à d'anciennes captives de Boko Haram, ne connaît cette situation que trop bien. « Quand les filles reviennent dans la communauté, elles sont torturées, insultées, ridiculisées. Elles en viennent à se demander pourquoi on s'est donné la peine de les sauver », explique-t-elle. « Une des filles aimait tellement son mari qu'elle voulait partir le retrouver. Elle avait beau avoir été enlevée et détenue, il lui avait montré de l'amour, de l'attention. Elle voulait y retourner. »

Boko Haram, dont le nom peut se traduire par « L'éducation occidentale est un péché », a plusieurs fois ciblé des établissements scolaires, forçant près d'un million d'enfants à quitter les bancs de l'école. Les filles se sont vues refuser l'accès à l'éducation et les attaques continues sur les écoles à travers le nord-est ont favorisé des attitudes négatives envers l'éducation – il est désormais dangereux d'aller à l'école.

 
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« Le problème ne se résume pas aux événements de Chibok ; près de 2 000 filles ont été kidnappées par Boko Haram. Les professeurs, les parents, les enfants – tous ont trop peur de prendre le risque », a expliqué Duvillier.

Mohammed pense également qu'une thérapie est nécessaire pour aider les victimes à retrouver confiance en elles. « Au Nigeria, la tradition veut que les gens n'aillent pas demander conseil. On ne parle pas de ses problèmes – on les garde pour soi. C'est une menace pour la santé ; cela pousse les victimes à retourner vers le groupe et à commettre un suicide. »

Tandis que le gouvernement nigérian tente par tous les moyens de réprimer Boko Haram, il fait face à un problème supplémentaire – la réintégration des personnes enlevées par le groupe terroriste. « Le gouvernement précédent aurait dû agir plus tôt en créant plus de logements et en assurant la sécurité des personnes déplacées. Cela aurait peut-être empêché ces filles de vouloir se tuer », déclare Mohammed. « Il n'y a pas de solution facile, mais avec l'aide de la communauté internationale, nous devons continuer à rassembler des informations sur le pourquoi du comment et fournir un plus grand soutien aux victimes. »

 
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Broadly

La fausse promesse des dispositifs anti-viol

Vernis détecteurs de drogue, boutons connectés et préservatifs dotés de dents – autant de technologies qui capitalisent sur la peur des femmes et promeuvent un faux sentiment de sécurité.

 
Par Sirin Kale
06 Octobre 2017, 7:00am
 

ILLUSTRATION DE LIA KANTROWITZ

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

« Inquiétez-vous moins, communiquez plus », peut-on lire sur la publicité de Revolar, un bouton de sécurité que vous pouvez attacher à votre porte-clés ou votre sac. Ce dispositif portable envoie votre position GPS à vos proches en cas de besoin. Appuyez une fois et ils sauront que vous êtes bien rentré. Appuyez deux ou trois fois et ils sauront que vous êtes en danger.

 
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La vidéo promotionnelle de Revolar met en scène une femme à la manucure parfaite, qui attache l'élégant porte-clés en argent à son sac à main de créateur. Ensuite, une autre jeune femme vêtue d'une chemise en jean et de lunettes de style Wayfarer tient une banderole sur laquelle il est écrit qu'elle ne veut plus être une « statistique ». Il est évident que l'appareil cible les femmes – quatre des cinq personnes présentes à l'écran sont des femmes. Mais tout le monde n'est pas impressionné par le marketing de Revolar, ni par l'idée plus large qui voudrait qu'on puisse acheter notre liberté pour 60 dollars. Le message de la société ne pourrait pas être plus paradoxal et stupide.

Les dispositifs anti-viol n'ont rien de nouveau : ils sont en réalité extrêmement anciens, n'en démontre la célèbre ceinture de chasteté du XVe siècle. Plus récemment, une flopée de produits anti-viol ont été introduits sur le marché : un dispositif conçu en 1979 et placé à l'intérieur du vagin permet d'injecter un sédatif dans le pénis du violeur. « The Trap », inventé en 1993, est une poche en caoutchouc munie de lances en plastique qui, placée à l'intérieur du vagin, vient se resserrer autour de l'extrémité du pénis. En 2000, une chercheuse sud-africaine a inventé un tampon contenant une lame de rasoir afin de couper tout pénis importun.

De telles méthodes n'ont rien d'idéal, et ce, pour des raisons évidentes – d'abord, elles laissent aux femmes la lourde responsabilité d'empêcher un viol, ensuite, elles ne fonctionnent que lorsqu'il y a pénétration. Des innovations technologiques récentes destinées à prévenir les agressions sexuelles ont été conçues pour intervenir plus tôt, notamment en facilitant les appels et messages silencieux : l'application de sécurité Circle of 6, lancée en 2011, permet de demander rapidement de l'aide à vos amis lorsque vous vous sentez en danger.

 
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Circle of 6 est en bonne compagnie : les boutiques d'applications sont désormais aussi bondées qu'un métro à l'heure de pointe. Il y a Watch Over Me, une application qui suit votre activité – par exemple quand vous courez – et envoie une alerte si vous ne vous connectez pas après avoir terminé votre jogging. Avec Scream Alarm, votre portable se met à pousser des cris avec une voix de femme lorsque vous appuyez sur un bouton, et Panic Guard allume votre caméra vidéo et votre alarme lorsque votre portable est secoué.

« Et si les femmes n'avaient pas besoin de porter un vernis à ongles spécial ou de tremper leurs doigts dans chaque cocktail pour ne pas être violées ? »

Mais comme l'ont souligné les critiques, ces applications et dispositifs anti-viol modernes continuent de considérer le viol comme étant de la seule responsabilité de la victime. Cette attitude insidieuse a fait son chemin dans de nombreuses autres innovations bien intentionnées en matière de lutte contre le viol – en 2014, par exemple, une équipe de recherche entièrement masculine de l'université d'État de la Caroline du Nord a remporté une subvention pour développer un vernis à ongles, Undercover Colors, qui change de couleur pour indiquer la présence de « drogues du viol » dans une boisson. De même, un bracelet anti-viol libère une mauvaise odeur lorsque son propriétaire est attaqué.

Tout comme Revolar, le vernis à ongles a suscité des critiques immédiates. Tout le monde n'est pas enthousiaste à l'idée d'utiliser son petit doigt comme touillette, sans parler du fait que ces technologies – qui sont généralement créées par les hommes – renforcent la notion dépassée selon laquelle les femmes devraient modifier leur comportement pour éviter le viol. « Et si les femmes n'avaient pas besoin de porter un vernis à ongles spécial ou de tremper leur doigt dans chaque cocktail pour ne pas être violées ? » s'interrogel'écrivaine et activiste Lindy West. « Si vous pensez que les femmes ne se donnent pas déjà assez de mal pour ne pas être violées, alors oui, ce nouveau vernis est génial », se moque l'auteure Kelly Oxford sur Twitter.

 
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Aucune de ces technologies ne tend vers la solution la plus évidente pour mettre fin à la violence sexuelle – à savoir décourager les violeurs potentiels de commettre des actes d'agression sexuelle, que ce soit par le biais d'initiatives éducatives ou en aidant à attraper et poursuivre davantage de violeurs. Malheureusement, les produits comme celui-ci renforcent l'idée culturelle selon laquelle les femmes ne sont pas en sécurité et ont besoin de protection.

« Revolar capitalise sur la peur des femmes et promeut un faux sentiment de sécurité », affirme le Dr Fiona Vera-Gray, experte en violence sexuelle à l'Université de Durham. Elle souligne que, statistiquement, les femmes sont plus susceptibles d'être violées par des proches, et non par des inconnus dans la rue. « Cela renforce l'idée selon laquelle les femmes doivent avoir peur et recourir à ces produits afin que les hommes ne représentent plus de danger pour elles. »

Ces dispositifs portables renforcent-ils la culture sexiste et paternaliste qui veut que les femmes ne puissent pas se déplacer comme elles le souhaitent ? Ou bien reconnaissent-ils la triste réalité dans laquelle se trouvent les femmes et contribuent à résoudre ce problème ? Jacqueline Ros, fondatrice et directrice de Revolar, qui a conçu son produit après que sa sœur a été agressée sexuellement quand elle était adolescente, opte pour la seconde option. « Je soutiens à 120 pour cent les efforts d'éducation [pour réduire la violence sexuelle] », déclare-t-elle. Mais le changement culturel prend du temps, et entre-temps, elle souhaite aider les femmes à se sentir plus en sécurité. « C'est le pouvoir combiné de la technologie et de l'éducation. À chaque fois que vous ajoutez une personne sur Revolar, c'est une personne de plus qui est sensibilisée au fait que ses proches vivent dans un monde où ils ne se sentent pas en sécurité. »

Et s'il existait un moyen véritablement innovant de répondre aux agressions sexuelles, axé sur la prévention des actes de violence isolés ? C'est l'une des idées de Callisto, une nouvelle application qui permet aux victimes d'agressions sexuelles sur les campus d'université d'enregistrer et de dater leur agression. De là, elles ont trois options. Soient elles transmettent par mail leur rapport au responsable de leur école. Soient elles enregistrent leur rapport et décident de ce qu'elles en font plus tard (il est de toute façon daté afin de faciliter les recherches futures).

La troisième option est la plus novatrice. Les utilisateurs ont la possibilité de ranger leur rapport dans la catégorie « matching ». « Cela va permettre aux victimes d'entrer l'identité de leur agresseur dans le système, tout en sachant que cette information ne sera révélée que si un autre utilisateur de Callisto fait face au même agresseur », explique Anna Kim, responsable de la communication et du marketing chez Callisto.

 
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Mettons que vous êtes agressée par un étudiant appelé Joe Brown. Vous signalez les faits sur le site de Callisto et intégrez le lien de la page Facebook de Joe dans votre rapport. Plus tard, une autre femme est violée par Joe et fait de même. Le projet Callisto envoie alors une alerte à l'administration de l'université : un prédateur sexuel se promène en liberté sur le campus.

Le fait est que la plupart des violeurs sont considérés comme des prédateurs en série, si bien qu'en ayant deux comptes indépendants et datés, les administrateurs pourront plus facilement enquêter. L'arrêt des violeurs en série peut également être considéré comme une mesure préventive précieuse : selon l'Atlantic, les créateurs de Callisto ont affirmé que l'arrestation de certains récidivistes à partir de leur deuxième victime avait permis d'éviter jusqu'à 60 pour cent des agressions sur le campus.

« Nous savons que la raison principale pour laquelle les victimes de viol signalent leur agression est qu'elles veulent protéger la communauté – elles ne veulent pas que ça arrive à quelqu'un d'autre », explique Kim. L'application web joue sur ce qui motive les victimes à en parler, ajoute-t-elle : la peur que leur agresseur n'attaque quelqu'un d'autre.

« Nous avons réfléchi à un moyen de réduire les obstacles rencontrés par les victimes désireuses de protéger leur communauté, de sorte que si elles ne veulent pas traverser ce traumatisme seules, elles puissent le faire ensemble », explique Kim.

 
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« Mais ni un bouton connecté onéreux, ni un bracelet qui vous fait puer comme un putois ne vous garderont en sécurité, même s'ils vous aident à vous sentir en sécurité. »

Si le projet Callisto nous enseigne une chose, c'est qu'il est possible de créer une technologie qui répond à la violence sexuelle endémique sur les campus sans pour autant renforcer les mythes sur le viol. Mais pouvons-nous concevoir une technologie préventive dépourvue de mythes sur le viol ?

Les femmes ont été encouragées à modifier leur comportement pour éviter les viols depuis que le viol a été conceptualisé comme un crime. Plus récemment, les militants qui tentent de lutter contre les violences sexuelles ont réussi à inciter les hommes, plutôt que les femmes, à prévenir la victimisation à travers des ateliers de consentement et des initiatives éducatives. Mais il reste difficile de mettre au point des technologies anti-viol qui n'exigent pas que les femmes se comportent d'une certaine manière pour éviter d'être agressées – ou qui ne perpétuent pas les notions dépassées selon lesquelles les violeurs sont toujours des inconnus croisés dans des ruelles.

Nous sommes encore loin de la percée technologique qui nous permettra de lutter contre le viol à un niveau plus large et systémique, plutôt que de répondre aux incidences individuelles. Mais les experts dans le domaine de la violence sexuelle commencent à envisager à quoi cette technologie pourrait ressembler.

 
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« Il y a une philosophe australienne, Moira Carmody, qui donne des cours d'éthique sexuelle à de jeunes étudiants, explique le Dr Vera-Gray. Elle apprend aux enfants à s'interroger sur leur prise de décision, à créer une culture de pensée radicale. Si une technologie de la sorte pouvait être appliquée aux adultes – sous la forme d'une application ou d'un jeu – cela pourrait réellement entraîner un changement. »

La plupart des applications et technologies que nous avons développéees aujourd'hui pour aborder les agressions sexuelles semblent très modernes, que ce soit les porte-clés en argent élégants ou les applications mobiles interactives. Mais ni un bouton connecté onéreux, ni un bracelet qui vous fait puer comme un putois ne vous garderont en sécurité, même s'ils vous aident à vous sentir en sécurité. Malgré leurs bonnes intentions, bon nombre de ces technologies perpétuent l'idée ancienne selon laquelle la prévention du viol est un travail de femme – sauf qu'elles revêtent désormais une facette féministe.