Des pionniers de l’action auprès des auteurs de violence
Quatre structures ont depuis les années 1980 persisté et organisé l’accueil et l’accompagnement psychologique d’auteurs de violence au sein de leur couple. Trois sont aujourd’hui encore en activité.
Elles ont accumulé dans l’expérience, un savoir théorique et méthodologique par rapport à ces hommes et aux dysfonctionnements dans les couples,.
La première de ces équipes s’est constituée à la fin des années 1970 dans l’association RIME (Recherches en intervention masculine) à Lyon. Elle est issue des groupes de parole constitués par des militants, compagnons de féministes des premières heures.
Les auteurs de violence y étaient reçus en entretiens individuels ou collectifs. L’approche du problème était anthropologique; le cadre de référence étant la déconstruction de la culture patriarcale et des stéréotypes masculins de force virile, de puissance sexuelle.
Les méthodes d’accompagnement associaient des techniques actives de jeux de rôles facilitateurs de la verbalisation de la colère, de l’hostilité, de la haine des femmes.
La pratique de l’équipe est à l’origine de la production d’écrits de référence, notamment sous la plume de D. WELZER-LANG.
L’association ne fonctionne plus depuis 2003.
L’association pour la prévention de la violence en privé a été créée à Paris en 1986 : elle a eu la spécificité d’être fondée par l’équipe mixte créatrice du premier centre d’accueil pour femmes, Flora Tristan.
Ce lieu d’accueil a été mis sur pied dans le même esprit de militance que celui à l’origine de l’association Rime. Il a été créé avec Claude MASTRE, psychologue et Anne ZELINSKY, Présidente d’un « SOS Femmes » en charge du foyer Flora TRISTAN .
Ici , la démarche a été de type psychanalytique et inspirée des groupes de paroles canadiens. Faute de moyens financiers, le lieu a fermé après dix années d’accueil.
L’un des membres de l’équipe a créé, après deux ans d’interruption, une nouvelle association ALCV ( Association de lutte contre les violences) qui gère encore aujourd’hui un lieu d’écoute et de thérapie à Paris. L’accompagnement y est toujours de référence psychothérapique et psychanalytique ; s’y est ajouté une référence à la systémie pour l’un des intervenants.
Alain LEGRAND , son fondateur, est à l’origine de la Fédération FNACAV .
Vivre sans violence en famille (VSV) à Marseille est la troisième structure et a été créée par Michel SYLVESTRE, en 1985.
Le cadre de référence est celui de l’approche systémique : la violence découle, le plus généralement, des interactions réciproques des membres de la famille impliqués chacun pour une part ; il s’agit d’une forme pathologique de communication.
Le travail et la recherche continue de l’équipe ont introduit un enrichissement par d’autres méthodologies et alimentent une connaissance complexe du phénomène de violence, croisant les aspects intra psychiques, interactionnels et sociétaux.
Les interventions et la production écrite prennent en considération le contexte français et s’étendent à tous les systèmes touchés par la violence auquel il est proposé le changement : les contextes thérapeutiques, scolaires, institutionnels.
Parenthèse à la violence, en territoire de Belfort, depuis 1989, a cette originalité d’avoir pensé et élaboré, avec une association d’accueil de femmes ayant subi des violences au sein de leur couple,oute une approche thérapeutique du phénomène. Partant d’une interrogation « des liens qui préexistent dans le couple, tant dans les relations hommes-femmes qu’entre les familles d’origines respectives » [1], le travail proposé aux auteurs de violence est individuel, par étapes, passant par le rétablissement de l’autre et de soi comme sujets en relation, par un travail autour de la loi et de la responsabilisation, et dans une dernière étape et dans certaines conditions, une phase articulée avec sa conjointe si elle a suivi elle-même un programme individuel et en présence des deux thérapeutes respectifs, en thérapie « scindée » « offrant pour chacun un espace commun d ‘élaboration »[2]
Ils accueillent également les hommes dans un travail de groupes.
La Fnacav
Ces premières équipes ont une longue pratique de 25 ans auprès d’auteurs de violence, elles ont croisé, enrichi, adapté les modes d’approche, ont théorisé leur pratique dans de nombreux ouvrages.
Elles ont été rejointes par cinq autres équipes entre 1990 et 1995 (Althéa, AVAC, LFSM, Métanoya et ViaVoltaire). Toutes poursuivent aujourd’hui leur recherche au sein de la FNACAV ( Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales) créée en 2003 et qui s’est dotée d’une charte en 2007.
La Fédération se donne notamment pour but de réaliser un corpus de savoirs transmissibles et transférables, elle veut développer des outils d’évaluation des pratiques, former des professionnels aux interventions ; elle réaffirme l’obligation de formation et de supervision des intervenants « qui ne doivent en aucun cas travailler de manière isolée ». Elle favorise l’échange d’expérience et organise le débat autour de la diversité des approches qu’elle respecte dans la mesure où elles présentent des garanties de rigueur théorique, méthodologique, éthique.
Entre avril 2006 et juin 2008, la Fédération a participé à l’action européenne « Work with perpetrators » dans le cadre de la directive Daphné II : il a s’agit d’une enquête menée au moyen d’un questionnaire fermé. Cette action avait comme objectifs d’organiser les échanges de bonnes pratiques dans le travail avec les auteurs de violences conjugales et de constituer une base de données accessibles par internet. Tous les pays européens y ont eu une place et au delà la Suisse, la Croatie, la Bulgarie…
La participation de la Fnacav à cette action a contribué à la faire apparaître comme référent de ce travail qui commençait à s’organiser sur le territoire national.
Elle réunissait en 2008, dix neuf des associations qui pratiquent l’accompagnement des auteurs de violence.
La Fnacav a été auditionnée le 31 mars 2009 par la Commission chargée par l’Assemblée nationale de l’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, présidée par la Députée, Madame Danièle Bousquet.
Le rapport d’information, déposé le 7 juillet 2009, dans sa Proposition n°16, préconise :
– identifier les moyens consacrés au suivi des auteurs de violences.
– renforcer les moyens pour permettre la création de structures de suivi dans chaque département.
– accorder des moyens spécifiques à la Fnacav afin de lui permettre d’assurer son rôle de coordination, de représentation et d’évaluation.
La Fnacav a organisé les 22 et 23 octobre 2009, deux journées d’étude, premier rassemblement national ouvert à tous leurs partenaires actuels et potentiels. Le thème, fil conducteur, a été « la prise en charge des auteurs de violences conjugales, articuler loi et pratique ».
Ces journées ont réuni quatre cents personnes et les débats d’emblée animés de façon interactive ont permis des échanges nombreux. Tout le déroulé a soutenu un appétit qui s’exprimait explicitement de découvrir le point de vue et la pratique des autres : le dynamisme d’une jeune fédération qui se consacre à une tâche nouvelle était tout à fait présent.
S’y sont exprimés de nombreux intervenants : thérapeutes, psychologues, psychosociologues, psychiatres; des représentants de la justice et de l’observatoire national de la délinquance ainsi que du travail social, du médical, de l’enseignement et de la recherche.
Le programme a permis de montrer l’apport de la diversité des pratiques mises en oeuvre par les neuf équipes de la première vague, à cet accompagnement des auteurs de violence.
Ces équipes ont exprimé leur recherche constante, la rigueur et l’éthique de leurs démarches, les questionnements et les difficultés que pose la rencontre avec ces hommes (ou ces femmes parfois). Le travail essentiel étant de réintroduire des personnes, ces hommes acteurs de violence, dans une meilleure capacité à symboliser, à faire des liens et prendre la parole. Il s’agit également de leur permettre l’expérience d’un autre rapport à l’autre, là où ils établissent plus spontanément des liens fusionnels ou exclusifs et de se découvrir comme personne réunifiée dans ses émotions et ses savoirs.
De multiples points ont pu être abordé comme l’articulation obligation de soin et démarche volontaire. L’intérêt a été porté sur le fait d’une démarche contrainte qui oblige à un investissement dans le travail proposé et conduit, peu à peu, à une décision personnelle, seuil de l’engagement vers un changement de façon d’être.
Les modes d’approche de ces patients incluent cette préoccupation dans les équipes et l’une d’elle a pu affirmer que la totalité des participants d’un groupe de parole avec qui un travail préalable avait été réalisé, s’inscrivait désormais en continuité dans une démarche volontaire.
Une préoccupation également très présente lors de ces journées concernait la question de l’évaluation des résultats atteints par ces équipes. Aujourd’hui, la FNACAV travail sur un référentiel commun qui, à terme, permettra d’affiner les résultats et d’en tirer le meilleur parti.
Enfin et parmi d’autres, un travail complexe et subtil a été présenté durant ces journées sur la question des liens entre les personnes et leurs entourages, le fait familial et les évolutions sociétales.
Ce colloque a été une première grande étape du développement de la FNACAV qui compte aujourd’hui trente associations.
[1] Pascal CUENOT, Psychologue clinicien, Responsable de l’association Parenthèse à la violence, Belfort – Violence conjugale-réflexion sur ma pratique auprès d’auteurs de violence conjugale
[2] ibid.