Trentenaire pétillante et culottée, Camille Emmanuelle est journaliste et auteure de Paris, couche-toi-là !, un guide des adresses sexy de la capitale (Éd. Parigramme). « Je me suis déplacée dans soixante lieux, du plus romantique au plus hard, pour raconter ce qui m'a excitée, effrayée ou passionnée », explique-t-elle. Optimiste, elle croit en « une révolution érotique » et mise avant tout sur le dialogue hommes-femmes. Ancienne actrice X et étudiante en philo, Ovidie s’est imposée comme une réalisatrice féministe de référence. Elle a écrit plusieurs livres dont Osez découvrir le point G (Éd.Best). Certains la surnomment « l’intello du porno », une étiquette dont elle aimerait bien se débarrasser : « Au fond, c’est insultant. On sous-entend que les femmes qui touchent à la pornographie sont forcément stupides. » Comme Camille, elle combat les idées reçues et rêve d’un nouveau cinéma porno, mixte et respectueux.

Lefigaro.fr/madame.– Que pensez-vous de l'industrie du sexe actuelle ?
Camille Emmanuelle.– Le business du sex-toy s'est métamorphosé. Design, adaptés aux envies de tous, ces accessoires ne sont plus cantonnés aux sex-shops avec le vieux rideau moche à l'entrée. On les achète dans des love-shops où l'on peut discuter de plaisir sans détour. On passe de la sexualité procréative à la sexualité récréative. À côté de ça, l'industrie du X évolue peu. Le système de tags (mots-clés) sur le Web permet de trouver des pratiques variées, mais le porno grand public reste basé sur une vision masculine, hétéro-normée et stéréotypée de la sexualité.
Ovidie.– Je regarde ce milieu avec distance car je n’en fais plus vraiment partie. D’un point de vue économique, le secteur de la pornographie est moribond. Frappé par la crise et l'arrivée des sites de streaming gratuits, il ne survit plus que grâce à un sous-prolétariat de l'audiovisuel où les conditions de tournage sont de moins en moins gratifiantes.

En quoi parler de sexe est-il important ?

 

Cinquante nuances de Grey de Sam Taylor-Johnson

Ovidie : "Aujourd'hui, c’est chic de parler de porno féminin."

C. E. – La nudité publicitaire est très présente, mais les questions liées au sexe, au désir et au plaisir sont encore taboues. Ou mal traitées. Si on a tous eu des cours d’éducation sexuelle en 4e, basés sur la reproduction et la prévention, la culture érotique, elle, ne s’enseigne pas à l’école. Dommage, parce qu’il s’agit aussi d’éveiller ses sens, d’ouvrir son imaginaire, de mieux se connaître et de mieux connaître l'autre.
O.–  Tant que les femmes ne seront pas libres de disposer de leur corps comme elles l'entendent, tant que l'on n'admettra pas qu’elles ont le droit de s'intéresser à la sexualité, y compris dans ses aspects les plus crus, tant qu'il y aura des « mamans et des putains », des « don Juan et des salopes », il sera toujours important d’en parler.

Est-ce plus difficile d’aborder ces thématiques quand on est une femme ?
C. E. – Non, c'est un atout. Pour mes reportages ou la rédaction de mon livre, les portes se sont ouvertes facilement. Car les clichés ont la vie dure... Si je suis une jeune femme qui parle de sexe, je vais le faire avec « délicatesse ». Quant à mes proches, ils savent que ma démarche se nourrit de mes passions : le féminisme, les passerelles entre culture underground et culture avec un grand C, et les rencontres avec des personnalités hors norme.
O.–  J'ai tourné mon premier film en 2000. Il était alors difficile voire impensable pour une femme de réaliser du X. Aujourd'hui, c’est chic et tendance de parler de « porno féminin ». Mais il y a quatorze ans, c'était marginal. On m'a mis des bâtons dans les roues. Il m'a fallu des années pour être acceptée et surtout acquérir une totale liberté. Il n'empêche que je suis marquée au fer rouge. Le porno me décrédibilise sans cesse dans mes autres activités.

 

Êtes-vous féministes ?

Cinquante nuances de Grey de Sam Taylor-Johnson

L’industrie du sexe n’est plus réservée aux hommes, en témoigne le succès mondial de Cinquante nuances de Grey, le roman de E L James, adapté au cinéma, par Sam Taylor-Johnson.

C. E. – J'observe avec intérêt les mouvements féministes de ma génération, mais je n'ai pas l'esprit militant. À travers mes travaux, j’essaie de défendre une vision libre des femmes, des hommes et du couple. J’intègre au maximum l'humour et l'autodérision. Et je m'amuse avec les codes de l'ultra-féminité. J'adore l'expression d'une amie artiste, Louise de Ville, qui se définit comme « féministe en bas résilles ». Je rajouterais : et porte-jarretelles !
O.–  Je me suis beaucoup inspirée des pionnières américaines du féminisme pro-sexe. Lorsqu’on est féministe, il y a deux réactions possibles face à la pornographie. Soit on la condamne et on réclame son interdiction, ce qui est impossible et contre-productif. Soit on propose une alternative en représentant une sexualité affranchie des stéréotypes, qui respecte les règles du safe sex et où la femme est active.

À quoi ressemblera le sexe de demain ?
C. E. – Les technologies vont progresser. J’espère aussi que la vision figée, héritée de la société patriarcale et religieuse, ne sera plus qu'un lointain souvenir. Déjà en France, les échanges entre les hommes et les femmes se multiplient. On arrête de dire que « le plaisir féminin, c'est compliqué » ou que « le plaisir masculin, c'est basique ». À nous d'éduquer les jeunes générations afin qu'elles n'oublient pas que nos aînées se sont battues pour la révolution sexuelle et qu'il s'agit peut-être d'amorcer la révolution érotique.
O.–  Je crois en un renouveau. Le porno classique – avec des fausses blondes en lycra sur des canapés clic-clac – est en train de mourir. Les personnes qui ont une vraie démarche et une vision personnelle de la sexualité n'ont jamais gagné des millions, mais elles survivent là où les autres ont fait des coups de fric puis disparu. Lors du dernier Feminist Porn Awards de Toronto, j'ai découvert de nouvelles réalisatrices, un milieu en effervescence, un public différent… Le moment que j'attendais depuis si longtemps est-il enfin arrivé ?

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