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Le sous-enregistrement des actes de la violence des femmes

 

 

 

https://journals.openedition.org/champpenal/8039?lang=en

 

 

3. Le sous-enregistrement des actes de la violence des femmes

  • 7  En 2004, selon l’observatoire national de la délinquance, on compte, parmi les personnes mises en  (...)
  • 8  Parmi les personnes condamnées en 2008, on comptait 60 216 femmes contre 577 449 hommes, soit un t (...)
  • 9  Selon les statistiques fournis par le ministère de la Justice, au 1er septembre 2010, on comptait  (...)

18Faire du féminisme militant et académique le principal obstacle à l’émergence de la violence des femmes comme objet d’étude serait toutefois partial et erroné. Si les femmes violentes ont longtemps été écartées du champ des recherches, c’est en premier lieu en raison des difficultés du monde scientifique, en France notamment, à accorder une légitimité aux études de genre en tant que telle.

 

Dans ce processus d’occultation, il faut prendre en compte la rareté numérique des violences féminines. Rareté qu’il convient d’interroger en mettant en évidence l’effet d’aveuglement que produit l’évidence statistique : à toutes les étapes du processus pénal, les femmes, quel que soit leur âge, constituent une très nette minorité, validant ainsi les stéréotypes de sexe autour de la violence comme propriété masculine. Les femmes représentent aujourd’hui en France 16% des individus mis en cause par la police7 et la gendarmerie, 9% des individus traduits en justice8 et 3,4% des personnes incarcérées9.

 

Cette nette dissymétrie entre les sexes, alors même qu’elle reflète la dimension sexuée du contrôle et de la régulation sociale a rarement été étudiée en France et la violence des femmes (son traitement comme son actualisation) a été occultée – là où d’autres travaux ont pu interroger la perception et les modes de sanction de la violence (des hommes) (Mucchielli, 2007). Cela tient également à une acception restrictive de la notion de contrôle social, réduite à la réaction pénale (Cardi, 2008, 2007a et b ; Laberge, 1992). En interrogeant essentiellement l’expérience masculine de la déviance, les études sur la « réaction sociale » se sont le plus souvent centrées sur les sphères carcérales et pénales. Et inversement : en considérant exclusivement ces espaces, les chercheurs ont contribué à écarter la question de la déviance des femmes.

 

19Travailler sur la violence des femmes implique alors de se doter d’outils méthodologiques pour appréhender le phénomène. Une analyse critique des sources et des instances d’étiquetage de la violence et de la non-violence s’impose. Il s’agit tout d’abord de rappeler le sous-enregistrement de ces violences par les instances du contrôle social, habilitées à comptabiliser ce type d’acte (police, justice, travail social, prison) et de montrer ensuite que l’invisibilisation est entretenue par une prise en charge des femmes différenciée de celle des hommes, sous d’autres appellations, entretenant dès lors une dissymétrie entre les sexes (Cardi, 2008).

 

20Ce travail en cours de recensement alternatif des violences féminines ne conduit cependant pas à établir une parité numérique. La dissymétrie demeure. Comment la qualifier ? Faut-il dès lors poser la violence des femmes en termes d’égalité/inégalité, de retard/rattrapage, de phénomène mineur/majeur ? Un tel vocabulaire suppose un horizon social dans lequel la violence serait sexuellement indifférenciée. Spectre redouté qui s’est traduit de facto par la mise à l’écart de cet objet « sale », par crainte d’un mésusage politique des recherches scientifiques pointant la féminisation des groupes revendiquant l’usage de la violence.

 

21Penser la violence des femmes oblige en tout cas à ne pas uniquement s’intéresser à la seule participation des femmes à des formes de violences répertoriées, mais à mettre aussi l’accent sur des formes plus discrètes, plus microscopiques de violence (Handman, 1995) – obligeant ici à mettre en évidence la variété des formes de la violence empruntée par les femmes. En ce sens, le « gap » matériel et cognitif entre les hommes et les femmes en matière d’usage des armes (Tabet, 1979), n’implique pas que ces dernières ne font pas usage des objets qu’elles ont à leur disposition. À trop mettre l’accent sur la différence d’accès aux outils et aux armes les plus élaborés, on peut en oublier que la violence peut emprunter d’autres voies.

 

22Ainsi, pour comprendre la violence des femmes, comme pour comprendre le contrôle social qui leur est réservé, il est important de ne pas se cantonner aux lieux les plus visibles de circulation de la violence, comme les guerres, les monopoles de la violence légitime ou les institutions pénales qui sanctionnent les formes les plus visibles de la violence (Cardi, 2008). Affirmer que les femmes sont moins violentes parce que moins présentes en prison ne suffit pas. Il convient de renverser la question et de se demander : si les femmes violentes ne sont pas en prison, où sont-elles ? Il faut alors aller regarder du côté de la protection sociale, dans la mesure où la violence des femmes peut se loger au cœur même des institutions du care. Cela conduit à revisiter ces lieux de protection sociale qui semblent garantir des formes douces de socialisation et à mettre en évidence la violence qui peut découler de certaines formes de protection sociale (Cardi, 2008). Il s’agit ainsi de réinterroger les frontières du public et du privé qui fondent bien souvent les typologies de la violence : la violence qui a lieu en privé, doit-elle pour autant être dépolitisée ?

 

23Si travailler sur la violence des femmes, c’est avant tout exhumer de nouvelles sources, procéder à une relecture des archives, changer de perspective pour rendre visible l’invisible, c’est aussi travailler sur l’envers de ce processus d’occultation.



05/11/2020
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