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Les femmes gardiennes aussi violentes que les hommes dans les champs nazis- SCIENCE PO

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LES FEMMES SONT POTENTIELLEMENT AUSSI VIOLENTES QUE LES HOMMES”

 

L’historienne Elissa Maïlander, professeur associé en histoire contemporaine à Sciences Po, fait partie des chercheurs permanents du Centre d’histoire de Sciences Po. Elle s’intéresse notamment à l’histoire de la guerre et des violences de masse, qu’elle aborde sous l’angle du genre et de la sexualité. Une perspective qui éclaire l’histoire d’un jour nouveau et inattendu, comme en témoigne son travail sur la violence des femmes gardiennes dans les camps de concentration nazi. Entretien.

  • Pourquoi vous êtes-vous spécifiquement intéressée à la violence des femmes gardiennes de camps de concentration ?

Elissa Maïlander : Ce n’est pas évident à expliquer, mais je crois que le fil rouge de ma réflexion, c’était de comprendre comment des hommes et des femmes aux vies ordinaires finissent par devenir violents. Je me suis mise en quête d'un groupe d'étude dont je pourrais suivre la trajectoire. Au fil de mes recherches, j'ai trouvé les archives du procès des gardiens du camp de Majdanek, en Pologne occupée. C'était une source parfaite pour plusieurs raisons : six femmes et onze hommes accusés, et 35 mètres de témoignages des victimes et des anciens SS, que les magistrats ont pu recueillir lors des investigations et du procès de Majdanek à Düsseldorf, entre 1975 et 1981. Et puis, surtout, il s'agissait de gens ordinaires, bien plus intéressants que des hauts fonctionnaires pour faire de la micro-histoire.

  • Lorsqu'elles sont nommées gardiennes aux camps de concentration de Ravensbrück (Allemagne nazie) et Majdanek (Pologne occupée), certaines femmes deviennent très violentes, et d'autres moins. Comment l'expliquer ?

E. M. : Ces femmes ne naissent pas violentes, elles le deviennent. Et elles le deviennent dans le contexte d'une socialisation secondaire très précise. Les groupes des surveillantes qui ont été plus tard envoyées à Majdanek ont toutes été formées à Ravensbrück, en Brandebourg à 80 km de Berlin. Ces femmes ont développé une véritable posture de surveillante qui se traduisait par l’affirmation de leur autorité et par le recours à la violence physique, notamment aux gifles. Plusieurs raisons possibles à cela : pour beaucoup d'entre elles, ce travail représentait une forme d'ascension sociale. C'était la première fois qu'elles gagnaient de l'argent, elles étaient logées dans des appartements parfois plus confortables que ceux dans lesquels elles vivaient jusque là... Sorties de leur environnement habituel, certaines ont pu développer une attitude moins retenue.

Il y a aussi l'explication du clash social avec les prisonnières politiques. Les femmes gardiennes étaient souvent peu instruites. Elles se retrouvaient face à des détenues plus éduquées, plus émancipées. Ce décalage de classe a pu se transformer en une agressivité exacerbée. Enfin, Majdanek était un camp très différent de celui de Ravensbrück. Certaines des femmes qui étaient réputées pour être extrêmement violentes à Majdanek l'étaient beaucoup mois à Ravensbrück, et n'affichaient pas la même mentalité. Corruption, mauvaise gestion de l'administration du camp, éloignement de leur lieu d'origine... tout cela était propice à davantage de lâcher prise, qui a pu influencer le degré de violence des femmes gardiennes.

  • Les femmes gardiennes de camp étaient-elles plus violentes que les hommes ?

E. M. : C'est une question intéressante, qu'il faut réussir à déconstruire. Les survivants se souviennent beaucoup plus des violences féminines que des violences masculines. Le vocabulaire employé pour désigner les femmes est celui de la cruauté, la brutalité. Pour autant, cela ne veut pas dire que les femmes étaient nécessairement plus violentes ou plus cruelles que les hommes, mais simplement qu'elles sortaient de l'ordinaire. Dans la perception des détenus qui ont témoigné, ces femmes violentes rompaient avec leur rôle genré de la femme pacifique, aimante. Ce qui frappe beaucoup, c'est de voir des femmes perpétrer des violences envers les enfants prisonniers dans ces camps. Les femmes sont potentiellement aussi violentes que les hommes...

  • Cette question taboue du massacre des enfants vient heurter de plein fouet l'idée d'un instinct maternel et protecteur universel chez les femmes …

E. M. : Cette question divise les féministes elles-mêmes. Pour ma part, je ne suis pas essentialiste, je crois plutôt dans l'idée de performativité telle que l'a définie Judith Butler : il n’existe pas vraiment une essence de l'individu, mais plutôt une multiplicité d’actions possibles, qui varient en fonction des situations. Un homme peut être à la fois un père de famille dévoué, un mari exceptionnel et en même temps quelqu'un qui va décider de la mort de milliers de femmes et d'hommes. Nous l’avons vu par exemple avec le commandant d’Auschwitz-Birkenau, Rudolf Höß. Je pense que l’instinct maternel est en grande partie quelque chose de construit socialement et culturellement. D'ailleurs, Hildegard Lächert, une des gardiennes connue pour son extrême violence auprès des détenus, était elle-même mère de trois enfants...

  • En leur fournissant formation et emploi, le régime national-socialiste a accéléré la promotion sociale de certaines femmes. N'est-ce pas un peu contradictoire avec la vision conservatrice que l'histoire donne habituellement du nazisme sur la question des femmes ?

E. M. : Pour comprendre le nazisme, il faut admettre qu'il est très contradictoire. Dans les années 1930, le national-socialisme, qui visait un électorat chrétien conservateur, rétablit des rôles traditionnels genrés. Mais au plan des politiques sexuelles, le national-socialisme est très ouvert : la sexualité pré-maritale ou extra-conjugale n'est pas vraiment sanctionnée tant que les enfants qui en naissent sont « racialement acceptables » et en « bonne santé ».

Et puis, un an avant la guerre déjà, les jeunes femmes voient s'ouvrir à elles plusieurs opportunités de travailler, de se former professionnellement. En multipliant les regards sur les inégalités, on voit alors que le genre est loin d'être le principal critère d'exclusion dans le national-socialisme : une femme allemande qui travaille ou qui élève ses enfants est non seulement membre de la communauté nazie (Volksgemeinschaft) à titre entier, mais elle est également autorisé par son statut racial à exercer son pouvoir sur des femmes et des hommes dits "de race inférieure", comme sur un travailleur forcé soviétique par exemple. Les femmes n'ont pas toujours été des victimes du système nazi.

  • Quel intérêt présente un contexte de guerre pour les études du genre ?

E. M. : Quand le conflit explose, ou met entre parenthèses les relations de genre conventionnelles et on donne aux femmes l'opportunité de travailler dans des domaines qui étaient jusque là réservés aux hommes. La guerre est un moment intéressant pour étudier les rapports de genre : c'est une époque exceptionnelle où, par la nécessité de mener à bien cette guerre, les femmes ont une marge de manœuvre qu'elles n'ont pas en période de paix. Et puis c'est aussi une période significative pour l'étude des masculinités, qui se penche sur les hiérarchies entre les hommes. Parce que tous les hommes sont loin d'être souverains et d'exercer le pouvoir ! Ils sont eux-mêmes objets et sujets du pouvoir. Ces études distinguent par exemple les masculinités hégémoniques, qui représentent une petite élite, et les masculinités complices, subordonnées et marginales. Avec plusieurs autres historiens, nous aborderons d'ailleurs ce thème lors du deuxième volet de notre conférence Love, Sex and War, en novembre prochain.

Propos recueillis par Camille Kaelblen (École de journalisme de Sciences Po)

Pour aller plus loin

 

 



28/09/2019
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