L'entourage à l'épreuve de l'infidélité

Écouter sans prendre parti ni influencer, pas facile de trouver la bonne attitude quand un ami dérape.

Votre sœur vous appelle en pleurs. Entre deux hoquets, elle vous apprend que son mari la trompe. Immédiatement, le cercle se resserre. Le plan hors-sec est déclenché, le canapé-lit, déplié, ses moindres envies, anticipées. Pourtant, ce n’est pas si simple à gérer quand le « coupable » est depuis des années un membre à part entière du cercle familial. Estelle se souvient que lorsqu’elle a appris que son beau-frère trompait sa grande sœur, le bon comportement à adopter était loin d’être évident. « Il fait partie de la tribu depuis plus de vingt ans. Elle a fini par lui demander de quitter leur maison, mais il s’était fait prêter un appartement en face de celui de ma mère donc nous le croisions régulièrement dans l'ascenseur. On se disait juste bonjour, nous étions extrêmement mal à l'aise. » Sa sœur réclamait, sans l’exprimer, une solidarité totale. Il fallait choisir son camp, c’est en tout cas ce que semblait dire son comportement à l’époque. « Elle nous appelait, alarmée. Elle, qui n’est pas habituée à montrer ses émotions, s’acharnait sur lui, l’insultait, c’était assez violent pour nous. »

Compatir sans jeter de l’huile sur le feu

Pour Fatima Gaoua, psychologue et psychanalyste, dans ce cas-là, c’est important que l’entourage soit à l’écoute, mais sans forcément relancer par des questions ; ni dire du mal de celui qui a trompé. « Si vous lui dites : "oh, de toute façon, je le savais, c’est un salaud !", vous dénigrez aussi la personne qui vit ou a vécu une histoire d’amour avec cet homme, qui a donc un bout d’elle-même avec lui. Cela peut remonter le moral sur le moment mais à long terme, l’autre peut vous en vouloir. »

Comprendre, compatir, sans pour autant jeter de l’huile sur le feu ou prononcer des paroles qu’on pourrait regretter ou que l’autre pourrait nous reprocher, une fois l’orage passé, c’est toute la difficulté du moment. « J’avais conscience que mon beau-frère avait fait une bêtise mais je ne pouvais pas m’empêcher de me mettre à sa place. J'étais peinée qu’il se retrouve seul, qu’on lui tourne tous le dos », continue Estelle. Leur mère, aussi, s’est fait violence, pour ne pas prendre parti. « Le plus important dans ce type de situation, c’est de sortir de son rôle de parent et d’enfant, de considérer que tout le monde est adulte et que nous sommes aptes à assumer nos comportements et nos erreurs », rappelle la psychothérapeute Catherine Aimelet-Périssol. Aujourd’hui, sa sœur et son beau-frère sont réconciliés et Estelle se félicite d’avoir réussi à rester neutre. « Nous étions bien contents de ne pas être trop allées dans le sens de ma sœur, de ne pas l'avoir injurié comme elle. C'était leur histoire. » 

Ne pas diaboliser l’autre

L'entourage à l'épreuve de l'infidélité

Dans Mon beau-père et nous, de Paul Weitz, les relations entre Robert De Niro et son gendre, Ben Stiller, sont plus que houleuses.

Il arrive cependant que la famille éprouve des difficultés à pardonner au fautif, que les parents se sentent incapables de passer au-delà de la trahison et de faire comme si de rien n’était autour du poulet du dimanche. Le gendre idéal est désormais à leurs yeux, celui qui a fait souffrir leur petite fille. Beaucoup retrouvent des réflexes claniques. « Ils pensent bien faire en protégeant ainsi leur fille, mais la femme se retrouve dans une posture d’enfant », explique Catherine Aimelet-Périssol. Selon la psychologue, c’est alors à la femme trompée d’expliquer à ses parents qu’elle peut se charger de sa propre peine. « Cela ne l’empêche pas de leur dire "merci de m’avoir écoutée", mais en leur expliquant que ce n’est pas utile qu’ils continuent à appuyer sur la plaie. »

Personne n’était dupe des aventures du mari de Martine, 55 ans. Le cercle d’amis élargi savait que Christian était un coureur et la famille aussi. Aujourd’hui, le couple est divorcé, mais jamais les choses n’ont été éclaircies, laissant les non-dits alimenter tous les fantasmes. « Un mari fautif n’est pas obligé de se taire, tête baissée, de subir les regards en biais, en attendant l’absolution de la belle-famille », affirme Catherine Aimelet-Périssol. Pour la psychologue, il peut tout à fait solliciter, par exemple, une entrevue avec son beau-père, en privé, sans risquer, forcément, d’y perdre un œil. « Ils peuvent décider d’entrer dans un rapport direct et d’engager une discussion, entre hommes, autour de la masculinité. »

Françoise, elle, n’est pas très proche de ses parents. Alors quand elle a appris que son compagnon avait une aventure, elle s’est épanchée auprès de ses amis. « Le problème, c’est que beaucoup, parmi eux, ne l’appréciaient pas. Nous n’étions pas le couple serein et épanoui qui faisait l’unanimité. » De nombreux proches se sont lâchés, avouant que ce n’était, de toute façon, pas l’homme qu’il lui fallait. « Même quand on est plus ami avec l'un qu'avec l'autre, cela reste important de ne pas diaboliser celui qui a fauté », reprend Fatima Gaoua. Les amis doivent se contenter d’écouter avec bienveillance l'ami trompé déposer sa colère », continue la psychologue.
En effet, quand après un mois, Françoise a annoncé que son compagnon et elle se donnaient une nouvelle chance, elle avoue qu'elle n'en menait pas large. « Quand il y a réconciliation, c’est pire. Les critiques de nos amis sur notre histoire peuvent être prises personnellement : cela signifie que nous n’avons pas été en capacité de comprendre que l’autre pouvait nous trahir, qu'il avait des défauts »,  développe Fatima Gaoua. « L’amitié risque de se perdre à cause de rancoeurs. » De fait, Françoise a coupé les ponts avec certaines personnes. « J’ai été déçue par des proches alors que j’attendais beaucoup d’eux. J’ai opéré une forme de tri, de repositionnement. »

Après la colère, la tristesse

Aujourd’hui séparée de son compagnon, Françoise essaye encore d’expliquer le comportement de ses amis. « L’environnement se calque beaucoup sur le signal qu’on envoie et sur l’histoire qu’on raconte. À l’époque, je pense que la mienne n’était pas très crédible, je n’assumais pas bien cette relation, et mes amis devaient le ressentir. » De cette période, elle retient que la prudence est la meilleure des conseillères. « Quand j’ai appris sa liaison, j’en ai parlé à tout le monde, y compris à des nouvelles personnes, rencontrées depuis peu. J’ai appris, ensuite, qu’elles avaient confié mon histoire à d’autres, je l’ai mal vécu. » Depuis, elle se réfère plutôt à ses amis de longue date. « C’est important de garder un peu d’intimité pour soi et de ne pas se perdre en racontant tout à tout le monde », continue Fatima Gaoua. « Non seulement, on peut regretter ou avoir honte d’avoir tout livré d’un bloc, mais ça peut aussi angoisser les autres. Inconsciemment, les gens à qui on s’est confié se disent que ça peut leur arriver, qu’ils peuvent aussi être trompés par leur conjoint. Ils ont besoin de s’en protéger ; et c’est pour cette raison qu’ils le racontent à d’autres, pour s’en débarrasser. »

Camille, elle, s’est retrouvée tiraillée. Amie avec Daphné, elle était tout aussi proche de Pierre, son compagnon. Alors quand son amie lui avoue avoir trompé Pierre, sa place est plus que délicate. « J’ai toujours été franche avec Daphné. Alors je l’ai soutenue et écoutée tout en lui avouant ce que je pensais de ce qu’elle avait fait. »
Pour ne pas avoir l’impression de trahir Pierre, elle le contacte en lui disant qu’elle est au courant de l’aventure de Daphné et qu’il peut l’appeler pour en parler. « C’était important pour moi de pouvoir aussi le soutenir, lui. » Après la colère, ressentie et exprimée par celui qui a été blessé, vient forcément la tristesse et c’est là que les amis peuvent jouer leur rôle, selon Fatima Gaoua. Sans jugement, les semaines de confidences et d’écoute mutuelle se succèdent. Il est tout de même parfois difficile pour Camille de rester parfaitement neutre. « Celui qui a été trompé est toujours plus en souffrance que celui qui a trompé. Il subit davantage. Je voyais Pierre malheureux, blessé. » Alors, elle avoue, que parfois, elle sentait monter une rancœur contre Daphné. « J’ai fait en sorte de la contenir pour ne pas que leur amitié en pâtisse. » Patiemment, Camille accompagne ses deux amis et suit les soubresauts de leurs états d’âme.


« Il y a forcément un temps de dépression chez les personnes qui ont vécu une trahison », reprend Fatima Gaoua. « Cet état est nécessaire pour pouvoir grandir. C’est un moment où on ne diabolise plus l’autre. Soit on comprend qu’il est humain, qu’il a pu être défaillant mais qu’il nous aime et on décide de continuer avec lui. Ou alors on se rend compte qu’on ne souhaite pas lui pardonner et qu’on veut passer autre chose. » Et si les positions des amis ont été neutres et bienveillantes, la décision pourra être prise plus sereinement.
Sans le vouloir, en étant en contact avec les deux ex, Camille a joué les médiatrices. Après quelques mois, quand Pierre essaye de se venger en commençant une histoire avec une autre femme, Camille lui déconseille fortement de le faire s’il veut avoir une chance de recoller les morceaux. « Je savais que Daphné était en train de revenir vers lui, il lui manquait. Alors je lui ai juste dit : c’est maintenant ou jamais. » Aujourd’hui, Pierre et Daphné sont à nouveau ensemble… un peu, grâce à la présence d’esprit de leur amie commune.