TEMOIGNAGE : Mon père se fait frapper
Chaque année en France, 80 000 hommes souffrent de violences conjugales. Pourtant, on n'en parle pas. Pour Yaël, qui a vu son père souffrir, c'est incompréhensible.
« Un homme qui se fait frapper par sa femme, c’est une tapette ! », « Oh le canard ! »
J’ai déjà entendu tout ça… Ce n’est pas vraiment étonnant quand on y réfléchit. Après tout, ne dit-on pas, quand on est enfant, qu’il ne faut pas taper les filles ? Dès l’enfance, l’homme est identifié comme celui qui frappe et la femme comme une potentielle victime.
Sauf que chez moi, c’est la femme qui frappait. Mon père a subi les coups, les humiliations, le harcèlement psychologique, les cris, les tentatives de viol, les menaces, et tout ça devant nos yeux, à mon frère, ma sœur et moi. Mon père a été victime de sa femme, victime de cette maladie qu’est l’alcoolisme.
Les hommes, le sexe fort ?
Mon père : un homme battu, humilié, privé de cette virilité qui est si importante dans notre société. Le traumatisme que peut causer une telle situation n’est plus à prouver. Néanmoins, la pire chose pour lui fut sans doute le manque de reconnaissance, d’aide, ce dédain et même ce manque de confiance en ses dires. Parce que c’est ainsi, dans l’inconscient collectif, un homme battu, ça n’existe pas, il n’y en a que pour les femmes. Il n’y a qu’à regarder le nombre d’organisations venant en aide aux femmes battues ou les campagnes contre les violences conjugales : on ne parle que des femmes. Pour moi, cela n’est pas seulement malsain pour les hommes battus, qui sont totalement déconsidérés, mais ça l’est également pour les femmes. Parce que oui, ça nous place, nous, en tant que femmes, en potentielles victimes. Certes, d’après les chiffres, les femmes battues sont plus nombreuses que les hommes battus, mais vouloir faire des campagnes et des aides genrées, cela ne contribue-t-il pas à créer cette image d’une société où les hommes seraient le sexe fort, celui qui bat, et les femmes le sexe faible, celui qui est maltraité et qui subit ?
Cette image, en tout cas, ma mère l’avait bien saisie, se faisant passer pour ce que la société attendait d’elle : une victime frappée par son mari. Il suffisait qu’il se défende un minimum, qu’il tente de la retenir pour éviter les coups. Il suffisait d’un bleu, d’un cri ou d’une chute dans les escaliers simulée… Et bien entendu, tout le monde y a cru.
Alors, mon père est parti…
Tous. Les institutions, la société, la famille et même nous, les enfants. J’étais la plus grande, j’avais 10 ans. Bien sur on voyait des “trucs”. Mais notre mère était vraiment très très forte pour se faire passer pour une victime. C’est bizarre. Un peu comme si on s’était fait retourner le cerveau. Je voyais des choses, je savais que c’était ma mère qui était violente, mais je ne voulais pas le voir. Dans ma tête, il fallait que ce soit mon père. C’est un peu surréaliste. Mais déjà que l’esprit humain est plus ou moins facile à manipuler, ales celui d’un enfant…
Quand mon père a décidé de quitter le domicile et a voulu avertir la police de ce qui lui était arrivé. Il n’a reçu que du mépris. Même résultat auprès du juge des enfants, qui l’a totalement ignoré quand il a réclamé notre garde, alors qu’il avait peur pour notre sécurité. Résultat, mon père est parti, sans femme, sans enfants, sans maison, et sans aucune reconnaissance, seul. Il aura fallu attendre plusieurs années de combat et que je sois à mon tour victime de ces violences pour qu’il obtienne notre garde.
Malheureusement, même là, faire reconnaître ce qui avait pu se passer n’a pas été aisé : au moment de porter plainte contre ma mère (ce qui n’est déjà pas quelque chose d’évident ), le policier qui s’occupait de moi m’a clairement accusée de mentir. Même après ça, une garde alternée a été mise en place sans la moindre forme de surveillance et l’histoire s’est répétée avec ma sœur…
… Sans obtenir de soutien
Sans cette norme si profondément ancrée, sans cette aveuglement de la part des autorités et institutions, beaucoup de mal aurait pu être évité et je pense que oui, la société telle qu’elle est, est en partie responsable de tout ce qui a pu se passer.
Pour ce qui est de mon père, je ne peux pas savoir ce qu’il ressent au quotidien mais aujourd’hui encore, je sais qu’il est marqué par tout ce qui s’est passé et qu’il a été profondément traumatisé par cette période de sa vie. Je pense qu’il ne s’en remettra jamais. Il n’a jamais reçu de soutien de la part d’associations et aujourd’hui, il refuse de reconnaître qu’il aurait eu et qu’il a toujours besoin de cette aide qui lui a été refusée. Mais qui pourrait l’en blâmer ? Car il a non seulement été victime de violences conjugales mais son identité d’homme, aux yeux des autres et même, et c’est pour moi le pire, à ses propres yeux, a été profondément touchée. Parce qu’après tout, un homme battu, dans notre société, n’est plus vraiment un homme.
Yaël, 21 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Adobe Stock // © chalabala
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