N° 700 | du 11 mars 2004 | Numéro épuisé

DOSSIERS

Le 11 mars 2004

Un centre d’accueil pour auteurs de violences conjugales

Katia Rouff

 

THÈME : VIOLENCES CONJUGALES

L’association de lutte contre les violences conjugales aide les hommes à mettre des mots sur leur comportement et à le modifier. Une intervention qui apparaît comme un complément indispensable à la protection des victimes. Le fait de s’engager dans une thérapie accroît le contrôle qu’a le patient sur lui-même. En effet, pour l’équipe soignante, les limites posées par la loi sont indispensables, mais il faut aussi intervenir au niveau des processus psychologiques

Monsieur R. a fini sa thérapie depuis quelques jours. Il y a un an sa femme lui a demandé de contacter l’association de lutte contre les violences [1] pour mettre fin à l’enfer conjugal. Cet homme d’une quarantaine d’années a décortiqué son comportement avec l’aide de Claudine Peletot, l’une des trois psychologues du centre. Bien inséré socialement, marié, père de famille, il imposait sa violence à sa femme depuis trois ans. « Lors de la première consultation il a minimisé la gravité de ses actes », évoque la psychologue. « Il était dans ses petits souliers. Il venait pour ne pas perdre sa femme ». La première consultation a pour objectif de mettre le patient face à sa démarche.

Claudine Peletot requalifie la violence en terme d’interdit par rapport à la loi, essaye de lui donner un premier sens. « Dans les quatre premiers entretiens, il faut que le patient soit « touché », qu’il se rende compte qu’il reproduit de la violence, par exemple », explique-t-elle. Monsieur R. reprend rapidement la thérapie à son compte, dit qu’il vient désormais pour lui et non plus à la demande de sa femme. « Cet homme est issu d’une famille à principes, son père, très rigide, l’humiliait sans cesse et sa mère dépressive, le plaçait dans des systèmes de contraintes terribles qui ont provoqué une perte de l’estime de soi. Les comportements trop rigides sont des comportements inadaptés qui font violence ».

Monsieur R. était toujours sur la défensive, dans « la revendication d’une parole dont il s’est lui-même dessaisi à force d’être privé de paroles et pensées propres. Un adulte qui ne s’est pas construit avec des mécanismes de défense adaptés ne saura pas se positionner face aux gens », analyse Claudine Peletot. Au bout d’une année, Monsieur R., comprend de quelle manière son éducation a induit des raisonnements et comportements inadaptés. Lors de la dernière scène de violence conjugale, il se rend compte qu’il projette sur sa femme une souffrance associée à sa mère. « C’est l’enfance qui resurgit dans ces situations et vient augmenter la tension éprouvée », analyse Alain Legrand, psychologue et créateur du centre. « Plus on a à faire à des problèmes intérieurs, plus les chances que la violence surgisse dans une situation donnée sont importantes » dit-il. « Notre objectif n’est pas de résoudre la violence en tant que telle, mais de toucher aux éléments qui font que la personne a plus de chance qu’une autre de passer par la violence pour résoudre ses conflits ».

Lorsqu’un homme commence une thérapie, selon l’expérience des psychologues du centre, la violence physique s’arrête assez rapidement, le fait de s’engager dans une thérapie pour arrêter la violence accroît le contrôle qu’a le patient sur lui-même. Plus tard, c’est une meilleure compréhension de son propre fonctionnement et de celui des êtres qui l’entourent qui lui permettront de se sentir moins contraint, exaspéré, attaqué etc. « L’auteur de violence est une personne en prise avec des mécanismes qui le conduise à interpréter d’une manière erronée ou exagérée les rapports que les autres entretiennent avec lui. Travailler sur ces mécanismes lui permet de réinterpréter les situations qu’il vit et d’agir en conséquence », explique Alain Legrand.

Une femme sur dix en France subit des violences conjugales. Violences qui peuvent être physiques mais aussi sexuelles, verbales, psychologiques ou économiques. 250 000 à 350 000 enfants sont victimes de maltraitance ou en risque de maltraitance et/ou victimes d’abus sexuels. Ces violences entraînent leur cortège de peurs, de douleurs, de souffrances et de culpabilité. Dans une perspective de prévention, l’intervention auprès des auteurs de violences conjugales et familiales apparaît comme le complément indispensable des actions d’aide et de protection des victimes. Les limites posées par la loi sont indispensables mais pour Alain Legrand il faut aussi intervenir au niveau des processus psychologiques qui sous-tendent ces comportements violents pour éviter les récidives et les phénomènes de répétition, notamment transgénérationnelle.

Il est rare qu’un auteur de violences conjugales ou familiales s’engage de lui-même dans une démarche d’aide. Le plus souvent, il ne consulte que lorsqu’il y est contraint (lire l’expérience de Magali Barre, éducatice spécialisée…). Le départ de sa partenaire ou la menace ferme de son départ s’il n’entreprend pas une telle démarche en sera le principal levier. L’autre levier étant la mesure judiciaire qui, après un dépôt de plainte, pourra conduire le procureur à prononcer une obligation de soins. Pour la victime qui n’a pas encore franchi ce pas, le professionnel peut s’appuyer sur ces deux leviers pour convaincre la personne d’assurer sa propre protection, celle de ses enfants ou d’autres proches. « Il faut se séparer de lui et/ou poser la loi entre lui et elle pour « l’obliger à changer » pour ne plus répéter ses comportements violents préconise Alain Legrand. D’une certaine manière ceci correspond au souhait qu’elles ont dans beaucoup de cas.

En effet, poursuit-il, elles ont très souvent espéré qu’il change mais pensaient qu’elles le changeraient ou que d’autres conditions amélioreraient les choses. Bien entendu, cela ne fonctionne pas et se retourne encore davantage contre elles, toujours prises entre leurs sentiments d’amour, les différents autres enjeux et la souffrance qu’elles endurent. Leur dire qu’elles ont cette possibilité pour agir ou… continuer jusqu’à l’accident par exemple ou la destruction de leur personnalité, celle de leurs enfants, peut les aider à prendre cette décision pense Alain Legrand. On peut également leur dire que la peur qu’elles peuvent ressentir devant les réactions de l’auteur de violences face à une plainte ou un départ est peut-être la même qu’elles vivront demain pour une autre raison. Bien entendu, admet le psychologue, la décision ne sera pas forcément immédiate. Il s’agit plus d’une réflexion qu’elles ont à mener qu’une décision à prendre sur l’instant. Elles pourront également être informées de l’existence de centres pour auteurs de violences.

C’est d’ailleurs très souvent à partir de leur décision, être prête à partir, porter plainte, que l’auteur sera conduit à consulter, ce dernier étant lui-même un être en souffrance et en difficulté psychologique, même s’il le nie ou l’ignore le plus souvent, explique Alain Legrand. Remords, honte, absence de sentiment de culpabilité et de conscience de la gravité des faits constituent de puissants obstacles à l’entreprise d’une démarche thérapeutique. La spécialisation d’un lieu de consultation la facilite et favorise l’expression d’une parole libre autour de ces questions ».

L’existence de structures spécialisées permet également un fonctionnement en double partenariat : avec les professionnels confrontés à ces situations et avec les structures susceptibles d’effectuer un travail complémentaire (foyers d’hébergement, centres d’alcoologie, hôpitaux psychiatriques…). Chaque mois, deux psychologues de l’Espace solidarité femmes, qui accueille des femmes victimes de violences conjugales, rencontrent les psychologues du centre dirigé par Alain Legrand. « Cela nous permet d’échanger sur la nature de la relation entre la femme et son compagnon, sur ce qui s’y joue », explique Béatrice Marié de l’Espace solidarité femmes. « Nos deux structures font le même constat : il n’existe pas de dialogue dans ces couples, de mots qui circulent entre les membres de la famille, de mise en mots permettant la mise à distance ». Ce sont souvent les femmes qui demandent à Béatrice Marié l’adresse d’un centre qui pourrait aider leur compagnon violent. « Des lieux indispensables pour que l’homme, lui aussi en souffrance soit aidé », dit-elle.

Selon Alain Legrand, tous les sujets chez lesquels la violence n’est pas une réponse adaptée à la réalité de la situation vécue (sauf exception, une légitime défense par exemple), et c’est le cas pour tous les auteurs de violence, souffrent de troubles de la personnalité qui trouvent leurs racines dans les débuts du développement humain et aux détours de certaines interactions pathogènes, comme les interactions agressives, sexuelles ou paradoxales. En liaison avec les faibles capacités d’élaboration psychique de cette période de la vie, ces interactions réalisent ainsi les conditions déterminantes d’un développement pathologique de la personnalité dont les comportements violents ou déviant ne représentent qu’une forme de manifestation particulière.

Durant la petite enfance, c’est dans l’univers familial le plus souvent que se réalisent ces interactions. « Tous les auteurs de violences ont vécu de telles interactions, ont été battus ou abusés, ont été témoins de la violence parentale ou aux prises à des exigences fortement inadaptées à leur maturité, ont été victimes de comportements rigides ou paradoxauxexplique Alain Legrand. Victimes encore, pour des raisons liées aux processus même de construction de la personnalité, des inévitables identifications aux acteurs sociaux qui les entouraient alors, ils n’ont pu se structurer qu’autour de ces interrelations et développer ainsi une structure psychologique en rapport avec celles-ci ». Compréhension de la peur et de la souffrance qui n’excuse pas la violence et ne dédouane pas l’auteur de violences de sa responsabilité. Elle n’exclut pas non plus les facteurs sociologiques et historiques qui conditionnent toujours aujourd’hui les rapports hommes-femmes et déterminent des modèles de conduites.

Cette compréhension impose à l’ensemble de la société et surtout aux acteurs sociaux, de mettre en place les moyens nécessaires au changement. Il est illusoire de penser que ces violences n’ont d’incidences que pour les victimes et que de faibles répercussions sur le développement global de la société. Pourtant en France, seuls sept centres s’adressent aux hommes auteurs de violence. Des centres qui manquent de moyens (lire l’analyse de Daniel Welzer-Lang, sociologue…) . Le centre d’Alain Legrand malgré une aide du secrétariat d’État au Droit des femmes ne perçoit pas assez de subventions pour assurer son fonctionnement. Les consultations sont payantes selon un tarif variable en fonction des revenus, mais ceci exclut encore de trop nombreux hommes.


[1Association de lutte contre les violences - 11, rue Taine - 75012 Paris. Tél. 01 44 73 01 27 - mail : alcv@wanadoo.fr


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