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VIOLENCE : DE QUOI PARLE-T-ON ?

 

 

 

Violence : de quoi parle-t-on ?

   (Profil auteur)

Avril 2013

 
 
  
 
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Est-ce la violence qui croît dans la société, ou notre sensibilité envers elle ? Contrairement à une image constamment véhiculée, 
les violences entre personnes semblent reculer en même temps 
qu’elles deviennent de plus en plus intolérables.

La société française contemporaine est saturée par l’usage du mot « violence ». Des faits divers criminels abondamment relayés par les médias aux incendies de véhicules de la nuit du Nouvel An, en passant par toutes les formes d’insultes et de harcèlements, aucun territoire, aucun métier, aucune scène de la vie sociale, publique ou privée ne semble y échapper. Ce mot sert aussi massivement à qualifier toutes les formes de conflits civils et militaires dans le monde. En pratique, « la violence » s’écrit au singulier et n’a pas de contenu précis prédéterminé. C’est qu’il ne s’agit pas d’une catégorie d’analyse. Plus qu’une qualification de faits, il s’agit en réalité d’une disqualification de faits. La violence est quelque chose que l’on condamne. C’est de surcroît quelque chose dont on s’inquiète : c’est « l’augmentation de la violence » qui fait parler. C’est donc un signe des temps : l’idée d’une violence envahissante semble faire partie d’une représentation décliniste du présent. Au fond, les choses et les (jeunes) gens « ne seraient plus comme avant ».


À distance de ces représentations sociales et de ces catégories normatives, le travail du sociologue consiste d’abord à définir un ensemble de phénomènes sociaux relativement homogène à étudier, ensuite à tenter de comprendre les mécanismes qui régissent l’évolution de ces phénomènes. Le sujet de notre étude est l’ensemble des violences physiques, sexuelles et verbales, survenant dans les relations interpersonnelles. Ceci exclut les violences terroristes, mafieuses, d’État ou encore politiques collectives telles que les émeutes (1).


L’explication proposée réside dans un modèle sociohistorique articulant cinq processus sociaux.


 



◊ 1. Pacification des mœurs


La célèbre thèse de Norbert Elias sur le « processus de civilisation » – parlons plutôt de « pacification », mot moins normatif – n’est pas obsolète. Contrairement au préjugé ordinaire du débat public, les violences interpersonnelles ne connaissent pas d’« explosion » ces dernières décennies (encadré ci-dessous). La tendance générale est plutôt à la réduction progressive des comportements à caractère violent, au moins pour les violences physiques qui sont mieux mesurées que les violences verbales et les violences sexuelles. Il est probable qu’un processus de pacification des mœurs continue à travailler la société française et participe du recul continu de l’usage de la violence comme issue aux conflits ordinaires et quotidiens de la vie sociale (conflits de voisinage, conflits au travail, oppositions politiques et idéologiques, querelles d’automobilistes, provocations entre jeunes hommes, etc.). Ce processus a en effet pour conséquence première de délégitimer le caractère violent des comportements. D’où un paradoxe qui n’est qu’apparent : le sentiment général d’une augmentation des comportements violents accompagne et traduit un mouvement d’accélération de leur dénonciation malgré la stagnation voire le recul de leur fréquence. En réalité, notre société ne supporte plus la violence, ne lui accorde plus de légitimité, ne lui reconnaît plus de sens. Du coup, les comportements changent de statut. Ce qui était regardé jadis comme normal ou tolérable devient anormal et intolérable. Ceci concerne l’ensemble des violences sexuelles, les violences conjugales, les maltraitances à enfants, les bagarres entre collégiens, les agressions physiques ou verbales à caractère raciste ou homophobe, les pratiques violentes de bizutage, etc.






◊ 2. Quand l’État criminalise


Dans les années 1990, confrontés aux conséquences du chômage de masse et du redéploiement des inégalités, à un haut niveau des vols et cambriolages et à une demande de sécurité croissante, la plupart des États occidentaux ont fortement réinvesti leurs prérogatives régaliennes et tenté d’imposer un niveau supérieur de contrôle pénal. Le processus de criminalisation en est la clef. Le législateur ne cesse de créer de nouvelles infractions ainsi que de durcir la poursuite et la répression d’incriminations préexistantes. Outre le renforcement continu de la pénalisation des violences sexuelles, des violences visant certaines catégories de personnes (les conjoints, les mineurs, les fonctionnaires), certains lieux (notamment les établissements scolaires) ou certaines circonstances (les manifestations, le fait d’agir « en réunion »), on relève aussi dans les années 1990 la création des délits de bizutage et de harcèlement moral. Les années 2000 ont été le théâtre d’une véritable frénésie sécuritaire avec près de 50 réformes pénales. Jamais autant de comportements n’ont été interdits et sanctionnés. Certaines sanctions ont eu de vrais impacts sur la vie sociale : ainsi le changement de braquet en matière de contrôles routiers et de sanction des comportements jugés dangereux. D’autres parfois apparemment aucun : ainsi la prohibition continue de l’usage et du commerce des drogues, qui n’a nullement entamé leur réalité.

 

◊ 


3. Le recours à la justice s’intensifie


La judiciarisation consiste dans le fait de recourir à la justice pour régler des litiges, conflits, différends en tous genres. Ce processus est favorisé par les deux précédents, mais il est lié également à l’évolution des modes de vie, en ce qu’ils réduisent les capacités de régulation des conflits interindividuels. Les modes de vie périurbains séparent toujours plus le lieu d’habitat familial du lieu de travail, des commerces où l’on fait ses courses et parfois des équipements scolaires, des loisirs et des lieux de l’engagement associatif. Nos lieux d’habitation sont par conséquent toujours plus anonymes. Ne pas connaître ses voisins est courant, l’anonymat est la règle dans les transports en commun et dans les lieux de « sorties ». De manière générale, les contacts de proximité s’amenuisent à vitesse accélérée. Dès lors s’accentue encore un mouvement ancien de réduction des capacités à régler des conflits de façon infrajudiciaire, c’est-à-dire sans recours à des autorités comme la police ou la justice.
Faute d’interconnaissance, de dialoguer ou et de capacité de médiation ou de négociation, les individus se retrouvent seuls pour réguler leurs conflits et n’ont d’autre solution, s’ils ne parviennent pas à s’entendre, que de saisir la puissance publique.






◊ 4. Convoitise pour 
les biens de consommation


La plupart des actes de délinquance dénoncés par les victimes dans les enquêtes sont des atteintes aux biens : avant tout des vols et des cambriolages. Ainsi, le principal risque dans la société française contemporaine est de se faire voler des biens (ou de l’argent permettant d’acquérir des biens) dans son commerce, chez soi ou dans l’espace public : voiture, scooter, sacs à main, vestes et portefeuilles, baga­ges, bijoux, et désormais aussi téléphones portables, MP3, ordinateurs, consoles de jeux, etc. Et de se faire violenter si d’aventure on tente de résister au vol.
Depuis les années 1960, le développement constant de la société de consommation s’accompagne d’une délinquance d’appropriation qui constitue une sorte de redistribution violente, dans une société où l’anonymat facilite grandement la tâche des voleurs. De toutes les « violences », le vol avec violence n’est généralement pas la plus grave (les blessures sont le plus souvent bénignes), mais c’est la plus fréquente.

 




◊ 5. Violence et ségrégation


Après avoir analysé des processus qui traversent toute la société française, il faut s’interroger sur les différences relatives entre types de territoire et groupes sociaux y résidant. Non seulement les modes de vie des « hyper­centres » diffèrent de ceux des zones rurales « profondes » et des zones périurbaines en pleine croissance, mais au sein même des « banlieues » des moyennes et grandes villes, la polarisation sociale ne cesse de croître.
Les enquêtes nationales de victimation (2) signalent que les agressions et les vols sur les particuliers sont un peu plus intenses dans les zones urbaines sensibles (zus). Plusieurs enquêtes locales de victimation tempèrent cependant ce constat, en révélant que les zus n’enregistrent des taux vraiment plus élevés qu’en matière d’agressions au sein des familles et non sur les vols avec violence, les agressions physiques ou verbales dans la rue. Les études sur dossiers judiciaires appuient ce constat de violences graves, produites la plupart du temps dans le cadre des relations de proximité. Ainsi le premier type d’homicide est-il l’homicide conjugal (3) . De même que le premier type de viol est en réalité l’inceste (4).


Ces violences intrafamiliales surviennent donc plus souvent qu’ailleurs dans les territoires concentrant les personnes en situation de précarité socioéconomique (mais elles existent néanmoins aussi dans les milieux plus aisés). Facteur supplémentaire de mal-être, de dépressivité, de stress et d’agressivité, la précarité envenime probablement les conflits interpersonnels à tous les niveaux : au sein des familles, entre voisins, entre groupes de jeunes, entre familles et enseignants, entre jeunes et policiers, etc.


Alliée au développement continu de la société de consommation, cette ségrégation constitue le principal facteur contredisant le processus général de pacification des mœurs. C’est donc à la question de la répartition des richesses déterminant les conditions de vie que renvoie aussi in fine l’analyse de l’évolution des violences interpersonnelles.

À SAVOIR

◊ Depuis trente ans, la violence diminue dans la société. La tendance générale montre une réduction progressive des comportements à caractère violent, au moins pour les violences physiques qui sont mieux mesurées que les violences verbales et les violences sexuelles.


◊ La définition de la violence a changé. Ce qui était considéré jadis comme tolérable est devenu intolérable aux yeux de la société. C’est le cas des violences sexuelles, des violences conjugales, des maltraitances à enfants, des bagarres entre collégiens, des agressions physiques ou verbales à caractère raciste ou homophobe, des pratiques violentes de bizutage.


◊ La plupart des actes de délinquance dénoncés par les victimes dans les enquêtes sont des atteintes aux biens : avant tout des vols et des cambriolages.


◊ Le premier type d’homicide est l’homicide conjugal. De même que le premier type de viol est en réalité l’inceste.

 

Une baisse des homicides

L’homicide est le seul comportement à caractère violent dont on peut tenter de mesurer l’évolution dans le temps. Les historiens estiment que l’on se tue de nos jours en France 40 à 50 fois moins qu’à la fin du Moyen Âge. Dans la longue durée, la tendance est donc la disparition progressive des violences mortelles volontaires, mais elle n’est pas linéaire. Au cours des quarante dernières années, les statistiques de police font apparaître une hausse dans les années 1970 et jusqu’au milieu des années 1980, suivie d’une baisse globalement continue jusqu’à nos jours. En à peine une vingtaine d’années, le nombre total d’homicides a été divisé par deux. Le dernier chiffre annoncé par le ministère de l’Intérieur en janvier 2013 (665 homicides enregistrés par la police et la gendarmerie en 2012) est le plus bas connu depuis que cette statistique est publiée (graphique).


La médiatisation des faits divers criminels conduit donc à de véritables confusions et même à des sortes d’inversions de réalité. La chose vaut même également pour les règlements de compte dont le décompte est très fortement médiatisé à Marseille depuis l’année 2011. Chaque meurtre y déclenche des commentaires passionnés qui nous promettent des lendemains pires encore. En réalité, il est vain de croire que « c’était mieux avant ». La mémoire collective a simplement oublié la longue histoire du banditisme marseillais (5) et ses épisodes les plus sanglants tels que la tuerie du bar du Téléphone en 1978 (10 morts en quelques minutes). Le juge d’instruction chargé de l’affaire à l’époque était le juge Michel, lui-même abattu trois ans plus tard par des truands corses liés à la French Connection (6). Que dirait-on aujourd’hui face à de tels crimes ?


Au total, l’on a bien enregistré 24 règlements de compte dans la cité phocéenne en 2012, et 16 en Corse, pour un total de 63 en France. Mais c’est oublier que trente ans auparavant, en 1983 (sommet de la courbe), les mêmes forces de l’ordre avaient recensé 130 homicides de ce type en France. Par ailleurs, si la police et la gendarmerie recensaient jusqu’à près de 500 homicides ou tentatives d’homicides pour vols (notamment des braquages) au début des années 1990 (le pic se situant l’année 1993), elles n’en ont dénombré que 96 en 2012.

Laurent Mucchielli
 

Des «coups et blessures volontaires» en augmentation ?

Après les homicides, les statistiques judiciaires renseignent sur le nombre de condamnations pour des « coups et blessures volontaires ». Elles ont doublé au cours des quinze dernières années. Mais l’examen du détail montre un léger recul des violences physiques les plus graves (ITT supérieurs à 8 jours) face à l’explosion des moins graves (ITT inférieurs à 8 jours) qui voit leur nombre presque tripler en quinze ans. On note aussi la part croissante des violences conjugales dans ces condamnations. Les statistiques judiciaires indiquent enfin que seuls 15 % de ces condamnés étaient des mineurs. A contrario, 85 % sont donc des adultes.

 

◊ Les condamnations pour coups et blessures volontaires de 1996 à 2010

Source : ministère de la Justice.

ITT : incapacité temporaire de travail.

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Laurent Mucchielli
 

Des violences de plus en plus condamnées

Que conclure des données pénales ? Y a-t-il plus de comportements à caractère violent, même de façon bénigne, ou bien davantage de judiciarisation de ces violences ? Pour en décider, il faut se tourner vers les enquêtes de victimation.


Ce tableau donne les résultats de l’enquête la plus complète qui existe en France, celle de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France. Depuis 2001 et tous les deux ans, elle interroge les Franciliens sur ce dont ils ont pu être victimes au cours des trois années précédentes. Comme l’indique le tableau, le résultat de cette comparaison sur dix ans des déclarations des habitants (et non des institutions) est un recul des comportements à caractère violent, comme d’ailleurs des vols et cambriolages. C’est donc bien la judiciarisation qui est en augmentation constante, et non les comportements à caractère violent qu’elle permet de dénoncer…

 

◊ Personnes déclarant avoir été victimes
 dans les trois années précédant l’enquête

Source : IAU-IDF, enquête « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France ». 

Le total des « victimations personnelles » correspond au nombre de personnes
qui déclarent avoir été agressées. Certaines ont pu subir plusieurs agressions,
c’est pourquoi cette somme est supérieure au total des victimations personnelles.
 Idem pour le total des « victimations des ménages ».

Laurent Mucchielli
 

Laurent Mucchielli

Directeur de recherche au CNRS 
(Laboratoire méditerranéen de sociologie), 
il a récemment publié L’Invention de la violence. Des peurs, des chiffres, des faits (Fayard, 2011) et Vous avez dit sécurité ? (Champ social, 2012).

 

NOTES

1. 

Voir Laurent Mucchielli, « Pour une sociologie politique des émeutes en France », in Jean-Louis Olive, Laurent Mucchielli et David Giband (dir.), État d’émeutes, état d’exception. Retour à la question centrale des périphéries, Presses de l’université de Perpignan, 2010.


2. 

Enquête de victimation

L’enquête de victimation consiste à interroger les personnes – échantillonnées de façon à représenter la population d’un pays, d’une région, d’une ville – sur les infractions dont ils ont été victimes.
Cette méthode de sondage se développe en France depuis les années 1990.
La technique diffère de la méthode qui consiste à établir des statistiques
du crime et de la délinquance issues
des déclarations à la police ou des statistiques judiciaires.
Car de nombreuses infractions à la loi pénale ne parviennent jamais à la connaissance des institutions chargées de les réprimer ; c’est ce que l’on a longtemps appelé le « chiffre noir de la délinquance ».


3. 

Voir Laurent Mucchielli, « Les homicides dans la France contemporaine : évolution, géographie et protagonistes (1970-2007) », in Laurent Mucchielli 
et Pieter Spierenburg (dir.), Histoire de l’homicide en Europe (du Moyen Âge à nos jours), 
La Découverte, 2009.


4. 

Voir Véronique Le Goaziou, 
Le Viol, aspects sociologiques d’un crime,
 La Documentation française, 2011.


5. 

Voir Laurence Montel, « Marseille capitale du crime. Histoire croisée de la criminalité organisée et de l’imaginaire de Marseille (1820-1940) », thèse à l’université Paris‑X, 2008.


6. 

Voir Thierry ColombiéLa French Connection. Les entreprises criminelles en France, Non lieu, 2012, et Alexandre Marchant, « La French connection, entre mythes et réalité », Vingtième Siècle, n° 115, 2012/3



11/11/2019
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