«LE VIAGRA A CRÉÉ UN CHAMBOULEMENT PLUS PROFOND QU'ON IMAGINE»
«Le Viagra a créé un chamboulement plus profond qu'on imagine»
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INTERVIEW - Philippe Brenot, psychiatre et sexologue à l'université Paris-Descartes, revient sur la révolution provoquée par l'arrivée des thérapies médicamenteuses pour traiter les troubles sexuels.
Le Figaro.- Les médicaments de la sexualité sont-ils les aphrodisiaques modernes?
Philippe Brenot.- Pour les médecins, les actuels médicaments dits «sexo-actifs» ne sont pas des aphrodisiaques à proprement parler: ils ne stimulent pas le désir, mais lèvent des obstacles à l'érection. Par exemple, ces médicaments du trouble érectile que sont les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 dits «IPDE5» (Viagra, Cialis, etc.). Ils ne recréent pas une puissance masculine artificielle, mais permettent une érection si, et seulement si, il y a désir et objet du désir. Les choses sont cependant plus complexes d'un point de vue psychologique. Lorsqu'il décide de prendre un comprimé d'IPDE5, l'homme «impuissant» peut se dire qu'il retrouve de la puissance puisque le fait de prendre le médicament réveille le désir endormi et suscite sa réalisation: il y a donc bien une part aphrodisiaque.
N'est-il pas étonnant que ces médicaments n'aient pas fait disparaître les potions destinées à réveiller le désir?
Non, puisque les aphrodisiaques traditionnels n'ont pas, ou très peu, fait preuve d'efficacité, en dehors de la cantharide dont la dangerosité est avérée (quelques milligrammes sont mortels!). Il s'agit pour la plupart de médications symboliques, par métaphores ou analogies de forme (la corne de rhinocéros à l'extrémité phallique, le bois bandé par jeu sur le mot, les huîtres par analogie morphologique avec le sexe fémininâŠ). Quant aux vrais médicaments qui agiraient sur les troubles du désir⊠ils n'existent pas encore.
Êtes-vous surpris de l'intérêt universel pour les pilules «magiques» de la sexualité?
Bien sûr que non. Depuis l'aube de l'humanité, les humains recherchent des remèdes à l'impuissance, sous tous les sens du terme, pas simplement sexuelle, tant la symbolique de la puissance masculine est une métaphore phallique. Le plus ancien témoignage que nous en avons date du Ve ou VIe millénaire avant J.-C. en Mésopotamie. Dans le temple d'Ishtar, déesse de l'amour, les prêtresses faisaient réciter des incantations pour conjurer l'impuissance: «Sois solide comme le sexe d'un bouc, dur comme le bois, prends force et courage, sois en érection, sois en érection, sois en érection⊻. Toutes les sociétés ont ensuite décliné des recettes personnelles pour conjurer le sort de la faiblesse masculine.
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Est-il légitime de vouloir accroître sa puissance sexuelle par le recours à la chimie?
Depuis des décennies, nous, médecins spécialisés, avons mis au point une aide relationnelle, psychologique et de thérapie des troubles sexuels, que nous utilisons toujours. Mais si cette approche peut s'avérer efficace dans certains cas, la plupart du temps, elle n'est pas suffisante, surtout quand le trouble est installé et ancien. Nous associons toujours un «starter» médicamenteux (ici, les IPDE5) et une thérapie des troubles sexuels. Il existe aussi une utilisation récréative des IPDE5, effectivement pour accroître la puissance sexuelle. Mais ce n'est pas une recommandation de la médecine.
La médecine sexuelle a-t-elle toujours été destinée à renforcer la vigueur?
La médecine sexuelle est la médecine des troubles sexuels, individuels ou relationnels. Son rôle est essentiellement de restaurer les fonctions défaillantes (désir, excitation, jouissance) dans leur intégrité. Il se trouve que les défaillances masculines ayant, de tout temps, été les plus manifestes, «vigueur» semble un terme masculin. Mais les troubles du désir féminin sont certainement les plus fréquents sans que nous en ayons vraiment de traitement spécifique.
Le viagra a-t-il été une révolution?
Un chamboulement plus profond qu'on ne l'imagine. Il y a vraiment un «avant» et un «après» Viagra. Auparavant, la sexualité masculine était vouée à une extinction plus ou moins rapide avec l'âge ou les soucis. On parlait alors d'andropause, c'est-à-dire d'une réduction et d'une extinction de la sexualité au milieu de la vie, attribuée à une pause hormonale semblable à la ménopause. Pas de jaloux! Il n'en est rien, nous le savons aujourd'hui, mais cet arrêt de la sexualité était dû à de multiples facteurs: sociaux (image de la sexualité, apanage des jeunes), relationnels (moindre désir féminin au moment de la ménopause), métaboliques (maladies facteurs de risque pour le trouble érectile), psychologiques (perte de confiance en soi, angoisse d'anticipation)⊠Aujourd'hui, et en prenant en compte tous ces facteurs, on aide, grâce au Viagra, la plupart des hommes à conserver une sexualité relationnelle satisfaisante tout au long de leur vie.
Êtes-vous surpris que des hommes soient prêts à s'injecter des médicaments dans le pénis où à accepter des prothèses pour retrouver une érection?
En 1990, au début des injections intra-caverneuses (on ne connaissait pas, alors, les médicaments IPDE5), l'acceptation assez unanime des premiers patients a en effet été pour moi une source d'étonnement. Le bénéfice était tel qu'ils en redemandaient. C'est toujours le cas. On peut bien le comprendre lorsque ce traitement restaure intégralement une fonction disparue, si importante au plan symbolique et identitaire.
Pourquoi le traitement chimique des troubles du désir est-il encore si décevant?
Le désir est un objet complexe dont nous ne connaissons pas les mécanismes intimes, qui mêlent psychologie et sans doute biologie. Du moins, les relais de l'émergence du désir chez un individu sont activés par des neuromédiateurs sur lesquels on espère pouvoir agir. De nombreuses études sont en cours, surtout sur les troubles féminins, mais sans résultats probants aujourd'hui.
La sexualité féminine est-elle plus complexe à prendre en charge que la sexualité masculine?
Certainement, car elle ne se résume pas à l'activation d'une mécanique érectile. Les troubles féminins (troubles du désir, de l'excitation, de l'orgasme) mêlent intimement une psychologie relationnelle que nous prenons en charge par des psychothérapies et sexothérapies adaptées. Mais ces prises en charge montrent leurs limites, et nous espérons que des traitements seront bientôt mis au point pour accompagner ces prises en charges spécifiques.
Un médicament suffit-il pour résoudre un problème sexuel?
Non, bien évidemment! L'essentiel de la prise en charge est relationnel. Le couple étant la «dimension vraie de la sexologie», la prise en charge du couple est en général la meilleure solution pour la compréhension du symptôme. Le médicament n'est qu'une partie de la solution.
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