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Une caresse, qui se heurte à un dos résolument tourné. « Pas ce soir », lancé comme un scud destiné à stopper net les ardeurs de sa moitié encombrante. La scène, bien connue, peut parfois devenir le seul moment où un semblant de sexualité s’invite dans un couple. Quand l’un a envie, l’autre pas, redoublant d’imagination pour trouver des excuses quand il n’y a parfois aucune explication à cette baisse de désir. Personne n’y échappe, qu’on ait 20, 40 ou 60 ans.
Quelques décennies plus tôt, on cachait le sujet sous le tapis. Désormais, il faut revendiquer une sexualité active et satisfaisante pour être accompli. Et les couples se prennent d'autant plus les pieds dans ce décalage de libido, par rancœur ou problème d’ego. Comme cet Américain frustré qui envoie à sa femme un fichier Excel de toutes ses tentatives, avec date/réponse/excuse évoquée pour refuser. Insultée, cette dernière s’est vengée en publiant la liste sur le Web. Alors que certains préfèrent s’attendrir sur cet homme en misère sexuelle, d‘autres défendent sa femme assaillie par un mari focalisé sur son seul désir. Leçon n°1 : surtout, ne pas chercher de coupable.
LeFigaro.fr/madame. - On imagine souvent que les personnes à la vie sexuelle morose sont des quarantenaires assoupis par la routine et les enfants. Y a-t-il un profil type du couple en décalage de libido ?
Ghislaine Paris. - Cela peut arriver à des gens de 25 ans comme de 60 ans ! Ce n’est pas une question d’âge mais plutôt de longévité du couple, qui traverse plusieurs phases. La première est ardente, passionnelle, avec un désir sexuel au summum, pendant quelques semaines jusqu'à deux ans environ. Ensuite, le désir est moins présent et le couple se confronte à sa propre réalité : être deux, c’est être frustré, faire des compromis. Ils sont différents et ne peuvent pas avoir envie tout le temps, en même temps. Avec la routine, on dépense moins d’énergie pour susciter le désir de l’autre. Aucun couple n’est épargné. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une troisième phase où l’on apprend à gérer et rendre supportable ce décalage.
On a tendance à penser que les hommes sont plus insatisfaits que les femmes. Vrai ou faux ?
Pendant très longtemps, seuls les hommes se plaignaient. L’envie « monte » plus facilement chez eux, alors que le désir féminin est plus lent, a besoin de plus d’énergie. Mais depuis dix ans, on a une part non négligeable de femmes, environ un ratio de deux femmes pour huit hommes, qui se déclarent frustrées et voudraient plus faire l’amour. Auparavant, elles n’osaient pas en parler. Et il était surtout inenvisageable pour un homme d’avouer qu’il n’avait pas envie de sexe !
Que vous racontent les couples qui viennent consulter pour ce problème ?
Ils viennent souvent avec cette même phrase à la bouche : « je viens pour lui/elle ». Ils sentent leur couple en danger. Mais si vous voulez avoir du désir, c’est pour vous qu’il faut en avoir envie, pas pour l’autre !
Comment peut-on régler ce décalage ?
Sans désir, prendre l’initiative d’un rapport est impossible. Celui qui en a le plus sur le moment doit faire le premier pas. Ce sera peut-être toujours lui qui viendra vers l'autre, tant pis, il faut assumer. Si vous boudez en disant « j’attends que ça vienne de l’autre », il ne se passera rien. Il faut exprimer son désir et susciter celui de l’autre mais surtout pas « demander » un rapport sexuel. Quand on demande, on veut une réponse. Si c’est oui, l’autre se force. Si non, c’est un refus violent. Dans les deux cas, c’est une catastrophe.
Etre privé de sexualité est aussi grave que se forcer
Qu’entendez-vous par susciter le désir ?
Il faut essayer de séduire, sans obligation de résultat. Je séduis mais je n’en fais pas une affaire d’état si cela n’aboutit pas. Sans la contrainte, l’autre n’est pas forcé et accepte le jeu de séduction.
Imaginons un exemple concret. Par exemple, quand les deux personnes vont au lit…
Vous avez tout faux ! Le jeu de séduction ne doit surtout pas commencer quand on va se coucher. Il faut du temps pour être séduit. Ça peut se faire par des petits messages, des paroles, des gestes, de l’humour bien avant. Il faut se débarrasser de la contrainte du temps. Avec de la bonne volonté, ça se règle en quelques mois, avec une thérapie de 5 à 10 séances.
Et si l’autre persiste à refuser ?
On entre dans un autre cas de figure. Il faut se demande si cette baisse de désir est passagère ou ancrée depuis longtemps, si elle vient d’un problème personnel comme la maladie ou la dépression, ou alors d’une problématique de couple dont la sexualité est seulement un symptôme.
On oublie donc la comptabilité des échecs ?
Oui, même si c'est une tentation assez forte. Je vois pas mal d’hommes et de femmes venir avec des calendriers pour attester de la fréquence de leurs rapports, en pensant que le sexologue va aller dans leur sens et dire combien il faut de rapports par semaine. Sauf qu’une comptabilité ne prouve rien parce qu’il n’y a pas de norme en matière de sexe.
Difficile tout de même de ne pas passer pour un capricieux obsédé…
Certains supportent très mal la frustration et vivent l'abstinence comme un rejet. Il ne faut pas « reprocher » mais constater avec l’autre que la vie sexuelle est endormie. Avec le décalage de libido, on se retrouve avec deux personnes en souffrance : celle qui est privée de sexe et celle qui voit son couple menacé. Chacun a le droit de ne pas avoir de vie sexuelle, mais celui qui est en couple prend son partenaire en otage. Etre privé de sexualité est aussi grave que se forcer.
Si les écarts de désir sont trop forts entre deux personnes, comment trouver un juste milieu sans avoir l’impression de faire toujours des efforts ?
L’écart de libido, c’est avant tout l’écart d’importance que l’on accorde à la sexualité, qui est liée à la construction de soi, à l’éducation, la culture, même si on peut s’en affranchir. Quand les désirs sont trop différents, il est difficile de trouver une harmonie. Une de mes patientes m’a dit qu’elle ne faisait l’amour que pour faire des enfants, contrairement à son mari qui a une plus forte demande. Leur conception et demande de sexe sont radicalement opposées... Ils ont décidé de se séparer.
"On ne solutionne rien avec l'adultère"
Dans ce cas-là, pourquoi lui n’irait pas juste voir ailleurs pour trouver ce qu’elle ne peut lui donner ?
L’adultère est parfois proposé par la personne qui a moins de désir mais ce n’est pas aussi simple ! On ne solutionne rien en allant voir ailleurs. Ajouter une tierce personne complique tout : il y a un lien qui se crée, un autre couple qui se construit.
Même si c’est seulement des aventures d’une nuit ?
On ne comble pas le manque de qualité avec la quantité. Le besoin de sexualité d’un être humain ne se satisfait pas avec des escapades d’un soir. Sans partage, c’est comme une masturbation améliorée. Un de mes patients reprochait justement à sa femme de l’avoir contraint toute sa vie à aller voir des prostituées pour ne pas s’investir dans une autre relation. « Tu m’as obligé à me contenter de ça », lui disait-il. C’était encore une autre forme de frustration. Les femmes frustrées en revanche, vont voir ailleurs mais commencent alors une autre relation.
Certains commentateurs de l’affaire des «27 fois » affirmaient que si sa femme était si fatiguée pour faire l’amour, c’était notamment car elle devait tout faire à la maison. La répartition des tâches domestiques influence-telle la vie sexuelle d’un couple ?
Oui. Quand la femme travaille et qu’en plus elle doit s’occuper de la maison, ça peut très rapidement être épuisant. Et avec la fatigue… on a moins de désir ! Cela s’accentue encore plus quand on est pris d’un sentiment d’injustice lorsque l’homme se comporte en grand enfant qui se laisse materner.Sa colère peut entraîner un piège très fréquent : la femme va utiliser sa sexualité pour se venger de son partenaire. « Si tu n’as pas fait la vaisselle, il ne faut pas compter sur moi au lit ». Le couple peut s’enliser dans un vrai piège où la femme prend la posture d’une maman qui distribue un bonbon à son enfant quand il a bien travaillé. Surtout, elle perd le contact avec sa propre sexualité. C’est pire que tout.
Si les hommes passaient l’aspirateur, leur femme auraient-elles plus de temps pour avoir envie de plus faire l’amour ?
Sûrement !
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