STOP MALE SUICIDE
SUICIDES
http://la-cause-des-hommes.com/spip.php?rubrique98
SUICIDES
Considérons deux études récentes sur la situation en France :
pour l’année 2010
(Taux de décès par suicide, INSEE, 18 décembre 2012)
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=dev-durable&file=dev-durable-724.xml
Nombre : 10 334
Proportion d’hommes : 75%
1ere cause de mortalité pour les hommes entre 24 et 34 ans : 23% (pour les femmes, 2e cause, 14%)
Catégories d’hommes les plus touchés : 1) veufs 2) divorcés
pour l’année 2012
(Prévention du suicide. L’état d’urgence mondial. OMS, 2014)
http://www.who.int/mental_health/suicide-prevention/world_report_2014/fr/
Nombre : 10093, dont femmes : 2618 - hommes : 7475
L’enquête note aussi, et contrairement à une affirmation courante des misandres, que les tentatives de suicide, dans les pays à revenu élevé, sont en proportion égale pour les deux sexes : 0,3%
**********
De ces études, il ressort sans conteste que le suicide est un problème essentiellement masculin : les suicidés sont pour les trois quarts des hommes.
Une telle disparité est frappante. Pour nous, même si une partie des suicides masculins s’explique par des problématiques individuelles, cette disparité est à mettre au compte des violences exercées sur les hommes par la société misandre. Et parmi ces violences, celle qui est exercée dans les situations de divorce, en particulier contre les pères, puisque les divorcés sont la deuxième catégorie la plus touchée.
Au passage, la disparité pulvérise la théorie de la "domination masculine" : s’ils étaient "dominants", c’est-à-dire bénéficiant d’une vie plus facile et plus gratifiante, pourquoi les hommes se suicideraient-ils trois fois plus que les présumées "dominées" ?
Suicide et exclusion parentale. Eric Verdier. 3e colloque francophone de prévention du suicide, Poitiers, 2004
[Ce texte est celui de l’une des interventions dau 3e colloque francophone de prévention du suicide à Poitiers, en 2004.
Une version en a été reproduite dans les Annexes des Travaux préparatoires du Plan Violence et Santé, Anne Tursz, mai 2005 (paragraphe D, p. 68-73)
http://www.helene-romano.fr/ressources/plan_violence_sante2005.pdf
Une autre, un peu enrichie, dans les Actes du colloque. C’est celle-ci que nous reproduisons ci-après.]
http://www.altersexualite.com/spip.php?article350
Suicide et exclusion parentale
Difficile d’aborder un sujet qui cumule autant de tabous et de résistances… Dans mon précédent travail sur un autre lien, celui de l’homophobie et du suicide, et qui a donné lieu à un ouvrage (Homosexualités et suicide, avec Jean-Marie Firdion), j’ai eu le sentiment de faire mes armes en tant que chatouilleur de politiquement correct, et d’empêcheur de penser en rond, surtout lorsqu’il s’agit d’aborder ces questions qui viennent tant nous interpeller en tant que professionnels, à savoir sur le genre, la sexualité et cette fameuse domination masculine… Mais avec le thème du suicide d’un parent exclu de la relation à son enfant, on touche une autre dimension. Le déni est au moins aussi fort, mais alors que les professionnels œuvrant dans le champ de la parentalité y sont en permanence confrontés, tout en semblant ignorer l’ampleur du phénomène, comme je vais tenter de vous le démontrer. Je vais également vous proposer une réflexion très incorrecte politiquement, puisque mon analyse met à jour un jeu de domination croisée entre les hommes et les femmes, que le thème de la coparentalité vient justement révéler.
Lettre envoyée à tous les magistrats de TGI en France :
Le suicide est un fléau en matière de santé publique dans les pays développés (c’est la première cause de mortalité chez les 25-35 ans), et concerne beaucoup plus les hommes, puisque en France ils sont trois fois plus nombreux que les femmes à mourir par suicide. Mais de grandes zones d’ombres persistent quant aux facteurs de causalité, et tout particulièrement s’agissant des hommes adultes de moins de 60 ans. Toutefois, de nombreux indicateurs émanant notamment du secteur associatif semblent converger, et mettraient en évidence une extrême vulnérabilité des hommes ne pouvant exercer leur paternité, cette exclusion allant d’un droit de visite et d’hébergement de deux week-ends par mois à une rupture totale de lien avec leur enfant. Vis-à-vis des mères, le petit nombre d’entre elles concernées par une telle situation n’empêche pas d’étendre la préoccupation à leur attention.
Puis, après m’être présenté, ainsi que l’objectif de l’association Coparentalité, à savoir parvenir à une équité dans les faits entre les parents d’un enfant, nous avons posé les questions suivantes :
1. Avez-vous été confronté au moins à une tentative de suicide (TS) ou au suicide d’un parent ?
2. Si oui, combien de personnes sont concernées, et combien d’entre elles en sont décédées ?
3. Pour chacune d’entre elles : Quel est son sexe, son âge, et celui de ses enfants ? Quelle-s décision-s de justice ou procédure en cours la concernait ? Quelle était sa demande et quelles motivations quant à la décision de justice rendue ? Sa dépression éventuelle ou une TS ont-ils joué un rôle dans cette décision ? Que demandait l’autre parent et sur quoi s’appuyait-il ? La dernière décision était-elle postérieure à la réforme de la loi de mars 2002 ? Quels sont les autres éléments pertinents pour la compréhension de ce cas ?
4. Pensez-vous que la justice joue un rôle préventif quant aux violences agies (/soi ou l’autre) ?
5. Avez-vous déjà ordonné une résidence alternée en cas de conflit parental ?
6. Pensez-vous que la résidence alternée permet de prévenir la souffrance parentale ?
7. Pensez-vous que l’intérêt de l’enfant est lié à la diminution de cette souffrance ?
Ma première approche fut donc d’interpeller les magistrats, suite à un cri d’alarme lancé notamment par des associations dites de « pères », mais aussi de « mères aliénées » ou faisant face à l’enlèvement d’enfants. L’une de nos hypothèses était que le très petit nombre de magistrats favorable à la résidence alternée en cas de désaccord parental allait répondre plus spontanément, et que l’effet préventif de ce type de décision quant au risque suicidaire ne pouvait être cherché que parmi ceux-là. Un questionnaire a donc été envoyé à tous les présidents de TGI et de cours d’appel en France et DOM (soit plus de 200 envois), leur demandant de le transférer aux collègues de leur choix (dont les JAF, les juges pour enfants et les parquets), et présentant le cadre de cette « pré-enquête », avec le texte ci-dessus.
En six mois d’enquête, nous avons reçu… sept réponses, émanant de cinq hommes et de deux femmes, effectivement plutôt en faveur de la résidence alternée, et du principe de coparentalité. Un magistrat, président d’un TGI de l’Ouest de la France, répond très succinctement qu’il n’a eu connaissance d’aucun suicide en trois ans d’exercice. Deux magistrats, tous deux de deux villes de l’Est de la France, disent n’avoir jamais été confrontés à une tentative de suicide d’un parent. Ils déclarent d’une part être en faveur de la résidence alternée lorsque les parents sont à proximité et lui reconnaître un effet préventif quant à la souffrance parentale, mais d’autre part affirment que l’intérêt de l’enfant doit primer sur la diminution de cette souffrance, sans préciser toutefois en quoi « l’enfant en ferait les frais ». Pour l’un d’eux, « l’enfant est heureux quand ses parents sont heureux. Mais quand il est l’enjeu de la lutte que se livrent les parents, il n’est pas en mesure de les rendre heureux tous les deux ». Pour l’autre, « dans certains cas, le détachement du parent pour l’enfant est une autre cause de la diminution de cette souffrance qui n’est pas de l’intérêt de l’enfant ». Emprise d’un parent et disqualification de l’autre d’un côté, démission d’un parent et revalorisation du second de l’autre côté, on est bien au cœur de la problématique de l’équité et de la coparentalité.
Un troisième magistrat, de l’Est également et Juge aux Affaires Familiales, dit n’avoir été confronté qu’une seule fois en deux ans au suicide d’un parent, lié directement à une procédure devant le JAF. Il s’agit d’un père qui s’est suicidé suite à la réception de la convocation dans le cadre d’un divorce pour faute. Il en déduit qu’« aucune mesure de prévention, en l’espèce, ne pouvait être prise par les services de la justice », et il ajoute : « il apparaît que face à ce problème la justice est démunie, mais est-ce son rôle que de faire de la prévention ? ». Vis-à-vis de la résidence alternée, ce magistrat déclare également y être favorable, tout particulièrement lorsque « la souffrance de l’enfant est liée au conflit parental et à son envie de maintien de la vie commune de ses parents ». Mais il réagit assez fortement à ce qu’il considère être la remise en cause d’une décision de justice, et de l’impartialité du juge, affirmant d’une part que « l’équité n’est pas un mode de résolution des conflits soumis au droit » et d’autre part que « le conflit est celui des parties. Il est la résultante des souffrances des parents et en aucun cas de la décision de justice qui n’est qu’un sparadrap sur des plaies béantes ». La difficulté à envisager la responsabilité d’un système judiciaire et donc collective, sans être aussitôt parasité par celle de la culpabilité individuelle fait ici surface. Un autre exemple de cet amalgame entre son propre positionnement individuel, et celui émanant de la pression sociale et corporatiste est illustré dans un autre énoncé : « Physiologiquement (ainsi en va-t-il de l’allaitement) une mère dans les liens qu’elle tisse avec son enfant est supérieure au père », l’amalgame s’étendant alors à la cause et à l’effet : la supériorité est-elle due à la physiologie, ou à l’imprégnation culturelle qui culpabilise d’un côté les mères laissant plus de place aux pères, tout en dévalorisant les pères qui la prennent ?
L’une des deux femmes magistrates, vice-présidente d’un TGI du Sud-Ouest, dit elle aussi avoir peu d’informations sur les décès de parents, ni même s’il s’agit d’un suicide, et donc encore moins sur les raisons d’un suicide éventuel. Mais elle se rappelle avoir été confrontée à trois suicides, deux concernant des femmes à « l’état psychologique fragile », et un troisième où un père avait attenté à ses jours alors qu’il se trouvait confronté à l’obligation de prendre en charge ses enfants. Mais ce tribunal paraît relativement atypique puisque sur les trois Juges aux Affaires Familiales, deux se conforment à l’article 373-2-7 du Code Civil, en prenant des décisions de résidence alternée « même en cas de conflit parental, sur une période probatoire dans cette dernière hypothèse ». Là aussi, cette magistrate précise que même si la prévention de la souffrance parentale doit être prise en compte dans l’intérêt de l’enfant, mais ne doit pas lui prévaloir, sans préciser dans quel cas l’un prendrait le pas sur l’autre (cela doit être apprécié « en fonction de chaque cas d’espèce »). Mais elle termine sur des considérations qui valident encore une fois notre hypothèse de départ (ce sont bien les magistrats soucieux de préserver le principe de coparentalité qui nous ont répondu) : « Plus préoccupant, me paraît être l’influence croissante auprès des juridictions des études effectuées par le Docteur Maurice Berger, qui, par référence à des données dites scientifiques et à la nécessité de protéger le très jeune enfant, entend remettre en cause le principe de co-parentalité reconnu par le législateur ».
Les deux derniers magistrats ayant répondu, un homme et une femme, sont respectivement du Sud-Est et du Sud-Ouest de la France. Cette dernière a d’ailleurs souhaité s’entretenir par téléphone avec moi, et m’a invité à venir assister aux audiences pour pouvoir appréhender plus directement cette réalité de la souffrance parentale. Le premier précise que ce sont plutôt les parquets qui sont confrontés à un suicide, la plupart intervenant au moment de la séparation, avant que le JAF n’ait eu à intervenir. Il indique avoir été confronté une cinquantaine de fois à un suicide en trente ans de carrière, dont un nombre important dans un cadre familial et motivés par une rupture parentale. « J’ai par exemple le souvenir d’un père de famille à qui on refusait un droit de visite sur ses enfants et qui, en direct, par téléphone alors que je m’entretenais avec lui, a tenté de se suicider en avalant des médicaments. J’ai pu obtenir in extremis des renseignements pour le localiser et je suis parti avec les pompiers à travers les rues de la ville pour le découvrir qui agonisait dans un appartement. Il a pu être sauvé in extremis. En général les cas que j’ai eu à connaître concernent les pères de famille (entre 28 et 35 ans). Les enfants sont âgés de 5 à 10 ans. Généralement la décision de justice qui confie l’enfant à la mère en est au stade de la conciliation. Ce sont des êtres déstructurés qui généralement n’ont pas accepté le départ de leur épouse et qui, brutalement, sont séparés de leurs enfants. Je pense que dans la majorité la cause du divorce a pour origine le comportement du mari ce qui explique du reste la déprime qui le gagne provoqué par le remords. » Ce témoignage pose un certain nombre de questions de fond, dont la prise en compte de la spécificité de l’expression de la souffrance chez les hommes, et l’anticipation du sort qui leur sera réservé quant au lien futur avec leur enfant suite à la séparation parentale.
La magistrate du Sud-Ouest renforce ce constat, tout en insistant également sur le fait que la plupart des passages à l’acte suicidaire sont antérieurs à la comparution devant le JAF. Elle estime à une soixantaine le nombre de suicides parentaux sur environ 8000 procédures, soit un cas sur cent trente (ce qui est une prévalence parmi les plus élevées qu’on puisse trouver…), très majoritairement des pères, mais dont quelques femmes. Elle précise que beaucoup ne sont pas comptabilisés, par exemple lorsque les affaires sont radiées car l’autre parent est introuvable, mais aussi que ce qui la frappe c’est « le nombre de fois où il y aurait dû y avoir un suicide et où il n’a pas eu lieu ». Elle est la seule à parler clairement de culpabilité, et surtout lorsque le suicide est couplé à un meurtre sur les enfants… Elle est également la seule à préciser que la résidence alternée n’est pas la panacée, mais un moindre mal, surtout lorsque l’un des deux parents exclut l’autre. Elle en a peu ordonné, sans avoir attendu la réforme de la loi, tout simplement car elle reçoit peu de demandes… Elle insiste sur l’importance que le magistrat soit disponible, rapide et flexible, et surtout qu’il prenne du temps pour examiner ces situations à haut risque. « Les gens osent dire qu’ils ont un cancer, mais ils n’osent pas dire qu’ils voient un psy, car être dépressif c’est mal vu. Ce que je tente de faire, c’est surtout de ne pas diaboliser l’homme afin qu’il ne perde pas courage, et de rassurer la femme. Car oui il est flagrant que la résidence alternée prévient la souffrance parentale. Elle dédramatise et dédiabolise, mais quand il y a eu des violences graves, une médiation est indispensable, dans un second temps bien sûr… »
Mais c’est auprès de parents concernés, et de proches de parents suicidés, que j’ai pu mesurer non seulement l’atteinte qui leur était faite en tant que violation d’un droit humain fondamental, celui de pouvoir aimer et éduquer ses propres enfants, mais aussi le déni qui était opposé à cette souffrance. Je me suis donc adressé aux principales associations qui m’avaient par ailleurs alerté, afin de rentrer en contact avec ces personnes. Les témoignages ont alors afflué, et j’ai été frappé par le nombre de décès récents par suicide, tous des pères, qui m’ont été signalés. Sont alors revenus de manière récursive des mots comme impuissance, injustice, désespoir, humiliation, incompréhension, mais aussi de fausses allégations et d’aliénation parentale.
Sylvain, papa d’un petit garçon de trois ans : « Je vis et subis un calvaire depuis mars 2004. Depuis 7 mois que je n’ai pas vu mon fils, je n’arrive plus à travailler, je suis vidé... J’ai l’impression de lutter pour rien, d’être comme invisible... C’est dur, très dur... Normalement, je dois aller voir un psy ici, mais je ne vois pas en quoi il pourra m’aider... » Damien, papa d’un garçon de 13 ans et d’une fille de 9 ans : « Malgré les expertises psychiatriques démontrant un équilibre total de ma part, j’ai perdu tous mes droits. À ce jour, toutes ces accusations ont détruit mon image de père. Mais je reste aimant, à l’écoute et amoureux de mes enfants. Quels troubles resteront gravés dans le cœur et l’esprit de mes enfants ? Aujourd’hui, j’ai peur chaque jour pour mes enfants. Je suis physiquement présent, mais mon esprit est ailleurs, comme si j’avais vécu pour la deuxième fois la mort. » La première, c’est lors de sa séparation…
Et c’est aussi le témoignage de Laurence, dont un ami proche et un beau-frère se sont suicidés, et qui craint que son frère, confronté à une exclusion dans son rôle de père, ne suive le même chemin : « Faut-il ce trop tard pour comprendre, apprendre le message que les hommes nous donnent et jusqu’où doit-on se remettre en question sans se déresponsabiliser sur l’autre ? Que reste-t-il aux hommes divorcés comme existence familiale et paternelle, psychologiquement et juridiquement pour leur bien-être et celui de leurs enfants ? Quelle stratégie est-elle appliquée pour renier le père ou l’éloigner ? Quels moyens sont-ils mis au point pour vérifier que l’enfant ne soit pas manipulé contre le père et veille-t-on à ce que l’enfant privé du Père ne soit pas en souffrance et réciproquement ? Je déplore que les femmes aient trop ce monopole de la sensiblerie et non de la sensibilité qui fragilisent les enfants, d’être parfois qualifiées de psychologues au détriment des hommes. Je suis une femme mais je constate qu’on détruit parfois les enfants en détruisant l’image de leur Père, ces femmes surprotectrices ou dangereuses et qui pour se défendre de leurs propres angoisses et folies détruisent l’autre, le couple, le Père… Quelle est la place du Père ? Quelle est la valeur d’un Père ? Que fait la loi, les juridictions, jusqu’où ira ce drame ? Jusque quand l’État, les juridictions, les psychologues et les sociologues n’interviendront pas pour mesurer les conséquences du déséquilibre entre hommes et femmes, où les femmes sont parfois surprotégées et les hommes humiliés et dénigrés ? La violence n’est peut-être pas forcément physique, elle est un poison mental et létal qui se distille lentement, jour après jour, jusqu’au meurtre psychique. Mais l’avantage est qu’il n’y ait jamais d’assassin. Je n’ai pas de haine, j’ai seulement besoin de dire, en mémoire de, et en mémoire d’eux seulement, pour ouvrir les yeux et le cœur. Pour mon frère qui se bat contre l’injustice, pour les hommes meurtris dans leur dignité, leur espoir. Et je suis entourée d’hommes en souffrance. Mais chez nous le père, c’est sacré ! »
Mais les femmes aussi sont parfois confrontées à cet intolérable-là dans leur rôle de parent :
Catherine, maman de deux garçons de 15 et 8 ans, et d’une fille de 12 ans, à qui on a refusé une résidence alternée et qui voit ses enfants ces deux fameux week-ends par mois : « C’est l’amour de mes enfants qui me fait tenir, comme toujours, même si il a des moments encore difficiles mais j’ai perdu confiance en beaucoup de choses, et surtout en la justice. C’est une blessure qui ne se refermera jamais. On a négligé une mère, au risque de la perdre et de la séparer définitivement de ses enfants par désespoir, donner toute puissance à un homme qui en usait déjà de trop et qui les manipule chaque jour d’avantage. Sans compter qu’une mère qui n’a pas la garde de ses enfants a une énorme étiquette dans le dos qui veut dire qu’elle doit vraiment être une mauvaise mère pour en être arrivée là et c’est pas toujours facile à vivre. La douleur est quotidienne, mais il faut tenir et je tiendrai ! Pas un juge ne peut nous ôter notre amour ! »
Coralie, maman d’un garçon et d’une fille tous deux adolescents aujourd’hui : « Trente mois que je ne sais rien. Je leur téléphone, mais ils sont hermétiques à tout échange ; je leur écris. Leur grand-mère maternelle est morte... Ils m’ont dit n’en avoir que faire. Et la justice en qui j’ai osé croire et qui n’a fait que se montrer irresponsable, jusqu’à cette dernière ordonnance de la semaine dernière, responsabilisant les enfants : « droit de visite libre en accord avec les enfants » !!!! Coup de grâce... Cette mention "en accord avec les enfants" !!!! m’achève. Comment peut-on les accabler encore plus !!! Je n’en peux plus. Je plonge, comme il y a trois ans, dans les profondeurs de l’aliénation, encore plus bas. Je n’ai plus d’énergie. Je ne peux physiquement plus être en permanence en apnée. J’ai envie de tout arrêter. Je regrette de ne pas nous avoir tués tous les quatre il y a 4 ans. »
Ce lien entre suicide et homicide, Marc le fait aussi. Il est le grand-père d’un garçon et d’une fille d’une dizaine d’années, et son fils s’est suicidé en juin 2004, après dix-huit plaintes pour non présentation d’enfants qui ont été ignorées : « Pour ce qui est du harcèlement, elle a fait écrire des lettres aux enfants, à Marie et à Paul, en lui disant : j’en ai marre que tu m’envoies des lettres, on ne veut plus te voir, etc... Et c’était vraiment humiliant pour lui de voir que ses enfants ne voulaient plus le voir. Quand il a reçu une lettre de son ex-femme où elle lui disait qu’il ne verrait pas les enfants pendant les deux mois de vacances scolaires, deux jours après il était mort… Il a laissé un petit mot en disant : Ne faites pas de mal à Flora, ni aux enfants, car ils ont besoin de leur maman. Merci à mes parents, mes amis, et le docteur. Gros bisous à Marie et Paul que j’aime, que j’aime, que j’aime, que j’aime, que j’aime… Il avait vu deux ou trois jours avant le psy, et il a pris tous les médicaments que le psy lui avait donnés pour un mois, en s’enfermant chez lui, et il a laissé la maison entièrement ouverte, et quand je l’ai trouvé sur son lit, il était mort… La mère n’a pas voulu que les enfants assistent à la sépulture... Et même, pendant la sépulture, mon ex-belle-fille et une de ses tantes, ancienne avocate, sont rentrées par effraction, et elles ont fait changer toutes les serrures, et je suis en conflit depuis pour récupérer tous les meubles qu’on lui avait prêtés... Mais aussi je me bats pour revoir les enfants car ils venaient deux ou trois fois par semaine à la maison. La justice n’a pas joué son rôle. Alors, on a beau être solide, on finit par craquer et moi je suis tout prêt de faire pareil, j’aimerais autant vous le dire ! Mais avant de le faire, je commettrais un meurtre, ça c’est sûr ! »
Bernard quand à lui a eu une chance inouïe, puisque malgré le conflit parental, il est tombé sur un magistrat qui a osé ordonner une résidence alternée, et sa tentative de suicide par pendaison au moment où il anticipait « tout ce que la justice lui réservait », est maintenant loin derrière. Mais nous terminerons avec les propos de Hugues, qui nous permet d’ouvrir sur des pistes de réflexion à la fois en terme de compréhension de ce qui se joue, et en terme de pistes de propositions : « Je suis père et homosexuel, et depuis 4 ans que ma fille est née, on m’impose ce qu’on trouve normal pour un père, à savoir deux week-ends par mois pour lui transmettre tout ce que j’ai mis en réserve de vie et d’amour en moi pour elle, rien que pour elle… On ne peut pas suspecter le magistrat d’homophobie puisque la mère est homosexuelle également, et élève notre enfant avec sa compagne, qui vient d’ailleurs de mettre au monde un enfant sans père. En tant que gay, je sais comment fonctionne la domination masculine : tout ce qui est considéré comme sensible chez un homme doit être réprimé, et on vous humilie si vous transgressez. Je sais maintenant que la domination féminine existe tout autant, et qu’elle fonctionne de la même manière, mais c’est sur la sensibilité d’un père qu’elle se porte. Peu importe qui domine et comment il ou elle le fait, si c’est par la force physique ou la manipulation psychologique, l’important c’est le résultat, et il est terrifiant de transmettre encore cela à nos enfants. »
Si la domination masculine est un invariant d’un point de vue sociologique et anthropologique dans la quasi-totalité des sociétés humaines, la primauté du rôle de la mère sur la construction psychologique et identitaire de l’enfant l’est tout autant. Dans les sociétés dites improprement « patriarcales », le père ne s’intéresse véritablement aux enfants qu’à un âge relativement avancé, et plus particulièrement aux garçons qu’il va initier à l’apprentissage de la virilité. Ce sont les mères qui s’occupent donc de l’éducation des enfants des deux sexes, puis exclusivement de celle des filles jusqu’à ce qu’elles soient en âge de se marier. Autrement dit, les mères ont le pouvoir sur leurs filles jusqu’à ce qu’elles deviennent mères elles-mêmes, alors que les fils occupent le champ du pouvoir viriarcal dès qu’ils ne sont plus sous leur influence. Inversement, les pères bénéficient du pouvoir que leur confère leur position sociale de dominant, sur tous les espaces autres que la relation mère-enfant.
C’est donc la puissance de l’homme, et non celle du père, et celle de la mère, et non celle de la femme, qui dessinent les contours de la construction psychique de ces filles et ces fils, ce que révèle la fragilisation de la puissance paternelle contemporaine, lorsque le viriarcat n’est plus là pour l’étayer. Et ce sont les mères et leurs fils-hommes qui se partagent un jeu de dominations croisées entre l’espace privé et l’espace public, autant sur les pères que sur les filles-femmes. Autrement dit, la domination masculine d’un point de vue sociologique ne peut s’appréhender seule, sans la question de la domination maternelle sur le plan psychologique : la loi du plus fort, celle des fils, symboliquement associée à la première, ne peut exister sans la puissance de leur enchaînement au lien maternel, et leur volonté de s’en émanciper, en tant que prérogative d’une autre forme de toute-puissance, celle de leur mère. Le terme le plus exact pour désigner les mécanismes de domination sexués et sexuels à l’œuvre devrait être donc celui de « matriarcat viriarcal » mais nous lui préférons celui de « domination materno-viriarcale ». La tentation d’infantilisation des hommes et de victimisation des mères pourrait en être l’un des révélateurs, au jour où la prise de conscience de la transformation des rapports sociaux de sexe est à son apogée.
La question du genre y est directement articulée. Mais il nous faut au préalable discerner les quatre composantes de l’identité : l’identité sexuée (le sexe biologique), l’identité sexuelle (le sexe psychique), l’identité de genre (le sexe social), et l’orientation sexuelle (donnée psycho-socio-affective). Dans le psychisme, ces quatre dimensions coexistent, et sont parfois en opposition avec ce qui est montré, voire le corps lui-même. Ainsi, indépendamment de son sexe de naissance et toutes les combinaisons étant possibles, une personne peut être mâle ou femelle, se sentir homme ou femme, se présenter comme masculine ou féminine, et s’identifier enfin comme homosexuel ou hétérosexuel. L’intégrisme identitaire, idéologie directement issue de la valence différentielle des sexes, impose de voir l’identité humaine nécessairement divisée en deux, suivant deux chaînes de signifiants opposés : un mâle humain est forcément un homme masculin et hétérosexuel, et une femelle humaine se doit d’être femme féminine et potentiellement homosexuelle. Déplacer l’un de ces éléments pour un individu le rapproche invariablement de la chaîne de signifiants complémentaires. Mais en réalité, ni la nature, ni la culture n’aiment les oppositions binaires, et dans chacun de ces champs, il existe des « entre-deux » : les hermaphrodites pour le champ biologique, les transsexuel-le-s pour le psychique, les androgynes pour le social, et les bisexuel-le-s pour celui de la sexualité. Et si la question du genre nous interpelle si fortement, c’est qu’elle situe spécifiquement le lieu de la véritable transgression, celle qui est sanctionnée car la seule visible (les trois autres champs peuvent demeurer masqués) et qui désignent par là même ceux et celles qui trahissent la chaîne de stéréotypes binaires qui leur est imposée. Car si l’homme domine la femme, et la mère le père, comment ce jeu de domination croisées entre la toute-puissance de l’homme et celui de sa mère va-t-il s’opérer dans l’entre-femmes, dans l’entre-hommes, et entre hommes et femmes ? Précisément à partir du genre : ce sont les hommes dits « féminins » (et doublement s’ils sont pères), et les femmes au comportement « masculin » (d’autant plus qu’elles ne sont pas mères), qui sont pointés du doigt, parfois jusqu’à la violence la plus extrême, qu’il s’agisse de jeunes enfants, d’adolescents ou d’adultes économiquement productifs où l’on va les cantonner dans des domaines réservés.
Au niveau du couple, la violence de l’homme sur la femme s’articule précisément là où la femme montre des signes d’émancipation du joug viriarcal. Quant au domaine de la parentalité, la domination maternelle s’exerce d’autant plus fortement que les pères montrent une part de « féminité », notamment parce qu’ils revendiquent une place quotidienne auprès de leurs enfants. Dans l’entre-hommes, la domination masculine s’exerce d’abord et avant tout par les plus « virils », en fonction des codes sociaux qui définissent la masculinité, sur ceux qui sont les plus faibles et donc les plus proches de la féminité, ou sur ceux qui refusent de considérer les femmes comme inférieures. Dans l’entre-femmes, la domination maternelle s’exercerait prioritairement sur celles qui cherchent avant tout à s’en émanciper, là aussi incarnée par la « masculinité » de certains de leurs comportements, ou le fait de considérer le père à une place égale de celui de la mère.
Nous conclurons par l’une des recommandations que nous avons faite dans le cadre de la commission « genre et violence » du plan « violence et santé » au ministère de la Santé (extrait) : Afin de réduire efficacement la recrudescence d’un Syndrome d’Aliénation Parentale chez les enfants en rejet de l’un de leurs parents, et l’incidence péjorative en terme de santé sur le parent aliéné, nous proposons de renforcer la mise en place des résidences alternées dans la loi n°2002-305 relative à l’autorité parentale conjointe. Il suffit de rajouter dans l’article 373-2-9, suite à la phrase « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un deux », la mention « celui des deux qui la demande et la rend possible, et non celui qui la refuse ou la rend impossible ».
Éric Verdier
Bibliographie
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Viaux Jean-Claude1997, L’enfant et le couple en crise, Paris : Dunod.
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