SUICIDE FORCE, ABSENT DE LA LOI
En 2018, 217 femmes se sont donné la mort à cause de violences infligées par leur conjoint, dont la responsabilité n'est pas reconnue pénalement.
Elles se sont donné la mort pour ne plus subir les violences conjugales dont elles étaient victimes. 218 femmes, pour la seule année 2018. Pourtant, rien ne prévoit à ce jour dans la loi que les auteurs de ce harcèlement physique et psychologique soient punis pour leur responsabilité dans le suicide de leur ex, leur compagne ou leur femme.
Ce lundi, les onze groupes de travail du Grenelle sur les violences conjugales ont remis à Marlène Schiappa leurs solutions. Parmi elles, la création d'une "incrimination du suicide forcé comme circonstance aggravante". L'Express détaille les enjeux de cette mesure phare.
Pourquoi inscrire le suicide forcé dans la loi ?
Préconisée par le groupe "violences psychologiques et emprise", cette mesure entend offrir un outil législatif pour reconnaître et punir les "humiliations ou violences répétées d'un conjoint" qui ont conduit la victime à mettre fin à ses jours, précise le groupe de travail. Cela permettra surtout "aux proches ou victimes qu'il y ait une enquête qui puisse démontrer les causes" du suicide, explique Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes, qui précise qu'il est souvent difficile pour celles-ci de faire reconnaître les violences psychologiques dont elles souffrent.
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Aujourd'hui, elles sont punies par l'article 222-33-2-1 du Code pénal, datant de 2010. Il condamne à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende les "propos ou comportements répétés [de la part du conjoint] ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale", lorsque ces faits ont occasionné une interruption totale de travail (ITT) pendant 8 jours ou moins. Et à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende quand elle dépasse les 8 jours.
Quelle peine fixer ?
"Nous souhaitons donc ajouter au texte existant un troisième cas d'aggravation quant au harcèlement qui aura causé le suicide ou la tentative de suicide", déclare Yael Mellul, coordinatrice du pôle d'aide aux victimes de violences au centre Monceau, à Paris.
Selon la proposition du groupe de travail "violences psychologiques et emprise", qu'elle a coprésidé, il s'agit là d'une infraction criminelle, la peine ne peut donc pas être inférieure à 20 ans". "Il faut absolument comprendre que les dégâts occasionnés par la violence psychologique sont aussi graves qu'en cas de violences physiques, insiste-t-elle.
Comment prouver la responsabilité du conjoint ?
La justice pourrait alors s'appuyer sur les témoignages de l'entourage de la victime mais pas seulement. Elle pourrait également étudier "les certificats médicaux, mener des enquêtes de voisinage, interroger les associations, toutes ces preuves qui pourraient permettre de désigner le décès comme étant le résultat de violences conjugales", détaille Françoise Brié à L'Express. "Il s'agit de faire une autopsie psychologique et de remonter toute l'histoire de la victime, des violences qu'elle a subies", renchérit Yael Mellul.
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Un travail de recueil de preuves extrêmement compliqué mais pas impossible", insiste-t-elle, citant en exemple le cas de Mélissa, une jeune femme de 24 ans qui s'est donné la mort au bout de 5 mois de relation avec son conjoint. Un dossier dans lequel la justice mène "une enquête admirable", tient à souligner Yael Mellul avant d'ajouter : "Ils ont considéré que le harcèlement moral était la cause directe de son suicide". Selon elle, si l'alinéa préconisé par le groupe de travail existait, nul doute que le mis en cause aurait été renvoyé devant la cour d'assises pour suicide assisté.
Et à ceux qui avancent que ce geste est multifactoriel, la coordonnatrice juridique au centre Monceau a sa réponse. "Une femme victime de violences conjugales est une femme qui va très, très mal. Elle est très souvent en dépression, isolée, elle est parfois alcoolique, toxicomane, elle fait un séjour en hôpital psychiatrique, des tentatives de suicide. Elle peut peut-être perdre son travail ou la garde de ses enfants", lâche-t-elle dans un souffle avant de conclure : "chaque fait que j'expose peut être interprété comme la cause d'un suicide. Sauf qu'ils sont précisément la conséquence des violences qu'elle aura subies".
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