À l’heure où la pornographie de masse achève d’imposer son règne sur Internet, la littérature érotique « pour les femmes » connaît un essor remarquable. La résistance serait-elle en train de s’organiser contre le porno des hommes ? Nous avons posé la question à des femmes de mots et d’images à l’effronterie assumée.    

Que ce soit sous forme de témoignages sur les forums sexo, de confessions sur les réseaux sociaux féminins ou de récits dans des magazines libertins, les Françaises sont de plus en plus nombreuses à prendre la plume pour partager leurs fantasmes. Elles rencontrent aussi un certain succès dans les librairies avec des recueils de nouvelles érotiques estampillées « féminines » qui se vendent comme des petits pains aux Éditions Blanche (Transports de femmes), Pocket (Folies de femmes), et plus récemment La Musardine. Même Harlequin, que l’on croyait à jamais attaché à son image d’éditeur à l’eau de rose, se met au rose tout court avec sa collection « Audace », qui se revendique « sexy, impertinente et osée ». Faut-il y voir la confirmation du vieux cliché selon lequel la libido féminine est moins visuelle et plus imaginative que celle des hommes, qui préfèrent donc la pornographie à l’érotisme ?

 

“Pas une affaire de genre”

Ce n’est en tout cas pas l’avis de Cali Rise, plume du site Impudique Magazine et auteure de nouvelles publiées chez Blanche et La Musardine : « On dit que les hommes n’aiment pas lire des livres érotiques, or je connais beaucoup d’entre eux qui avouent me lire… Je crois sincèrement que nous sommes tous féminins et masculins. Chaque lecteur réagira différemment selon ses ressentis et son vécu, selon son éducation aussi. » Elise Abelanski, animatrice du blog de la collection « Osez… 20 histoires de sexe » – dont la particularité est d’être ouverte à tous et pas seulement aux auteurs déjà publiés – partage ce point de vue : « La littérature érotique n’est pas une affaire de genre, elle est mixte par nature. Au point que certains de nos auteurs hommes écrivent sous pseudos féminins, et réciproquement. Le monde du livre érotique est beaucoup moins cloisonné que celui du film porno. » Mais pourquoi ?

Nous avons posé la question à Emilie Jouvet, photographe et réalisatrice du porno queer One Night Stand (2006). En 2010, son documentaire « sex positif » et féministe Too Much Pussy! Feminist Sluts in The Queer X Show, a été primé au festival Entrevues de Belfort, ainsi qu’au Reelout Queer Film + Video Festival de Kingston, au Canada. 

 

Photo D. R.

Photo D. R.

« En tant que femmes, nous sommes élevées dans l’idée que la pornographie est un mal absolu, un croquemitaine auquel il ne faut surtout pas se frotter sous peine de finir très mal. Une femme bien ne regarde pas de porno et se doit de tenir un discours très négatif et moralisateur sur ce genre. Même si elle ne sait même pas de quoi elle parle car elle n’en a souvent jamais vu ! La deuxième raison est sûrement que le X traditionnel est majoritairement imaginé, créé et fabriqué par des hommes pour des hommes. Il n’est donc pas toujours évident pour une femme de trouver des images sexuelles qui lui conviennent, surtout si elle se sent coupable de vouloir s’y intéresser. »

 

“Un excellent moyen de casser la routine sexuelle”

La littérature érotique permettrait donc à ses auteures d’investir leur propre terrain d’expression fantasmatique. Selon Cali Rise, elle est peut-être pour les femmes «  une façon de rechercher le plaisir qu’elles ne trouvent pas dans leur couple et/ou d’aiguiser leur libido, et oser devenir l’amante libérée dont leur partenaire rêve »… Bénédicte, 32 ans et grande amatrice du genre, ne la contredit pas : « La littérature érotique est un excellent moyen de casser la routine sexuelle. Moi par exemple, j’adore le sexe et n’ai aucun tabou, mais j’ai une imagination limitée. Les nouvelles érotiques me donnent des idées pour surprendre mon partenaire… et moi 
avec ! »

Il est intéressant de constater que l’envie de se surprendre est aussi une quête des femmes qui écrivent. En effet, selon Elise Abelanski, « parmi les textes que nous recevons pour la collection “Osez… 20 histoires de sexe”, un grand nombre sont signés de femmes qui se mettent en scène dans des récits adultérins hauts en couleur. Le point de départ de leurs histoires est souvent une épouse délaissée par son mari, qui cherche à plaire et vibrer de nouveau et s’invente des amants sensuels et imaginatifs… J’ai parfois l’impression qu’au même titre que les hommes se soulagent devant les films porno, les femmes se soulagent en couchant leurs fantasmes sur papier. Dans un cas comme dans l’autre, cela permet de noyer dans l’œuf les pulsions adultérines ! » 

 

 

Photo D. R.

Photo D. R.

Certes… Mais il ne faut pas négliger la dimension littéraire de la nouvelle érotique. On peut avoir envie de s’y essayer en tant qu’auteure et en tant que lectrice pour des raisons purement artistiques. « Au-delà du côté sulfureux, ça raconte d’abord une histoire, confirme Bénédicte. Parfois, le plaisir de la lecture peut se suffire à lui-même si les fantasmes décrits ne sont pas très excitants. » Une qualité que, force est de l’admettre, ne possède pas le porno !